Tout comme de nombreux Indiens, je suis
stupéfaite de voir que nous en sommes encore à des surenchères
verbales en dépit des grandes déclarations qui ont suivi
le massacre de Kalouchak le mois dernier. Des analystes réputés
en matière de défense eux-mêmes n'ont pas la moindre
idée de ce que pourrait bien être la proverbiale goutte
d'eau qui fera déborder le vase du régime de l'Alliance
Nationale Démocratique ; pendant ce temps, de nouvelles humiliations
nous viennent du Pakistan avec l'enlèvement et le passage à
tabac d'un fonctionnaire de notre Haut Commissariat à Islamabad.
De quelque manière
que l'on regarde, le Pakistan est, plus que toute autre nation, le terrain
propice au terrorisme islamique. Il ne peut pas sincèrement sévir
contre les écoles religieuses et les camps d'entraînement
sans compromettre sérieusement sa propre survie. Il va peut-être
consentir à une action des États-Unis contre les Talibans
en Afghanistan, mais s'assurera qu'aucun réel progrès
n'est fait dans la lutte internationale contre le terrorisme. Toutes
les allégations à propos des éléments dévoyés
de l'ISI qui financent et protègent des terroristes ne sont que
des canulars : l'État pakistanais est la source de tout le mal.
À mon avis, le fait que le Général Pervez Mousharraf
assure au monde occidental, samedi dernier au cours d'une interview
à CNN, qu'il n'est aucunement question d'un conflit nucléaire
avec l'Inde, confirme cette observation. Les officiers de l'armée
pakistanaise affichent peut-être ouvertement leur sympathie pour
le jihad mais il est hors de question pour eux de laisser les installations
nucléaires ou l'équipement militaire échapper à
leur contrôle. Si une telle situation se présentait, elle
mettrait sérieusement en danger le Pakistan, et non l'Inde, et
amènerait la dislocation finale de ce pays.
En fait, peu de gens
en Inde prennent au sérieux la menace nucléaire qui est
perçue comme un stratagème facile pour nous dissuader
par intimidation de nous mettre en guerre. D'où l'anxiété
des citoyens de savoir jusqu'où le gouvernement a l'intention
de s'abaisser devant la pression internationale, spécialement
celle de Washington, en ce qui concerne la défense des intérêts,
de la fierté et de l'honneur nationaux. Le gouvernement doit
se rendre compte que les intérêts de l'Inde et ceux de
l'Amérique ne sont pas à l'unisson et doit arrêter
de rêver qu'un Hercule mythique va venir résoudre ses problèmes.
Le scénario,
quel qu'il soit, prévu par la Maison Blanche après le
11 septembre a mal tourné à certains points de vue, amoindrissant
l'aptitude de celle-ci à contrôler les événements
dans la région. Washington a pu avoir besoin d'ancrer une base
militaire au Pakistan avant de s'attaquer au régime Osama-Omar
à Kaboul, mais la chute rapide des Talibans demandait une importante
révision de la stratégie américaine, qui n'a pas
même été commencée.
Washington admet, bien
sûr, que l'Afghanistan n'est plus une nation renégate,
mais une victime qui a besoin du support international pour reconstruire
sa société. Mais les responsables politiques américains
sont extrêmement peu disposés à reconnaître
que la migration en masse de la machinerie de terreur de Al Qaïda
vers le Pakistan a créé un conflit d'intérêts
avec Islamabad. Le Président Bush est sans aucun doute très
embarrassé d'admettre que le général Mousharraf
s'est payé sa tête et a évacué Osama et le
reste de Kumduz avec l'aide des Américains ! Cependant si son
intention d'amener les auteurs du 11 septembre devant les tribunaux
est sérieuse, c'est une pilule qu'il devra bien avaler. Il n'a
pas besoin non plus de s'inquiéter du déplacement des
troupes pakistanaises de la frontière afghane vers celle de l'Inde
; les agents d'Al Qaïda sont en sûreté, installés
dans les principales villes du Pakistan, peut-être même
dans le Cachemire occupé !
Washington ferait bien
de tirer parti des prochaines visites en Inde du Secrétaire à
la défense Donald Rumsfeld et du ministre adjoint Richard Armitage
en proposant à New Delhi un support sans réserves pour
écraser les camps de terroristes dans le Cachemire occupé.
Plutôt que de lui raconter des histoires en lui assurant qu'elle
peut éradiquer la menace dans le sous-continent, la Maison Blanche
devrait demander à l'Inde de lui enlever une épine du
pied en sévissant contre le fondamentalisme islamique dans la
région. Seule l'Inde peut mener à bien cette tâche
ici. Ainsi, lorsque la question du Jammu et Cachemire sera réglée
à notre satisfaction, nous pourrons aborder le problème
du fondamentalisme alimenté par l'ISI dans d'autres États
tels l'Assam, le Bengale, le Rajasthan ; sans parler des madrasas qui
bourgeonnent le long de la frontière indo-népalaise.
Les Américains
commettraient une erreur grossière s'ils faisaient reposer leur
stratégie anti-terroriste exclusivement sur le Général
Mousharraf et sa survie au gouvernement. Mais là la principale
difficulté réside dans le fait que les dirigeants politiques
occidentaux sont encore incapables de se représenter la vraie
nature du fondamentalisme islamique, et donc la nature des efforts qu'il
faut mettre en uvre pour le combattre. La plupart des analyses
et des reportages sont focalisés sur la campagne de recrutement
dans les pays musulmans du Tiers Monde ou parmi les immigrés
ou convertis des pays européens. Ceci ne tient pas compte du
fait que la plupart des auteurs du 11 septembre venaient de riches familles
arabes et étaient inspirés par l'idéal islamique
qui vise à la soumission de toutes les nations à l'Islam.
De plus personne ne reconnaît, même aujourd'hui, que les
madrasas qui prolifèrent dans notre partie du globe sont financées
par les dollars d'Arabie Saoudite et amènent ainsi l'islam wahhabite
radical et puriste qui ne peut vivre en paix avec aucune autre religion
ou groupe social.
La communauté
internationale devrait cesser immédiatement de chouchouter le
Pakistan sur le problème du Jammu et Cachemire. Plutôt
que de harceler l'Inde avec des appels au dialogue et aux concessions,
elle doit déclarer sans équivoque que même si le
sous-continent a été divisé sur la base de la religion,
cela n'autorisait pas le Pakistan à continuellement réclamer
le territoire indien après 1947. Les conditions de la partition
et l'Acte d'Adhésion du Jammu et Cachemire sont tous deux des
documents légaux et complets ; aucun corps légal au monde
n'a pu les remettre en cause. La nature irrévocable de l'adhésion
a été à maintes reprises approuvée par le
peuple du Jammu et Cachemire au cours d'élections. Le monde doit
maintenant appeler les choses par leur nom et dire ses quatre vérités
au bon général.
Malheureusement, à
l'intérieur du pays le BJP a été de façon
singulière incapable de répondre aux attentes que sa rhétorique
nationaliste avait générées. Lors de sa récente
visite au Gujarat, le Premier ministre a réprimandé Narendra
Modi au sujet du rajdharma [le devoir d'un chef d'État]. C'est
à M. Vajpayee maintenant qu'il faut rappeler que le dharma demande
un engagement actif au nom de l'ordre moral et social que l'on veut
maintenir. Cela implique que le dirigeant ne doit avoir aucun scrupule
quant aux méthodes à employer, fut-ce la guerre, pour
protéger son peuple. Tout échec ou manquement à
cet égard serait une sérieuse violation du dharma de chef
d'État.
Depuis que le BJP est
arrivé au pouvoir, nous avons eu : un massacre de pèlerins
au sanctuaire d'Amarnath, un attentat au « Red Fort » à
Delhi, des bombes détectées dans le « North Bloc
» [Ministère des Affaires Étrangères] et
le « Sena Bhavan », des attaques contre le Parlement à
Delhi, contre l'Assemblée du Jammu et Cachemire, contre des familles
du personnel de l'armée à Kalouchak, le massacre de sikhs
à Chittisingpora au Jammu et Cachemire, des attentats contre
des temples à Jammu, pour ne mentionner que les plus audacieux.
Chaque fois, le gouvernement s'est montré inexplicablement peu
enclin à prendre des mesures punitives contre les camps au Cachemire
occupé. Je suis incapable de concevoir que l'on puisse demander
une diminution des infiltrations à la frontière tout en
laissant le Pakistan libre d'augmenter le flot à sa convenance.
Après Kalouchak,
le ton est monté à tel point que le Premier ministre a
visité Jammu et Srinagar et ajourné sa retraite à
Manali. Aujourd'hui, l'inaction des deux semaines passées pousse
les citoyens à se demander si le gouvernement hésite parce
qu'il a peur du Pakistan ou parce qu'il est incapable de résister
à la pression diplomatique des autres puissances. Il ne convient
guère à un pays de la stature et de la taille de l'Inde
d'être ainsi ridiculisé, spécialement par ses propres
citoyens.
Sandhya
Jain
