
LA
PARTITION DE L'INDE
ET LA QUESTION IRRÉSOLUE DU CACHEMIRE
(2ème
partie)
par Laurent Baldo
La Seconde Guerre mondiale, un tournant décisif pour l'Inde
Les événements politiques
qui vont se développer durant la Seconde Guerre mondiale seront
déterminants et vont jouer en faveur de Jinnah.
Tout d'abord, en fin politique, Jinnah
assure à la Couronne la fidélité de la Ligue musulmane
à condition qu'aucune réforme constitutionnelle ne soit
faite en Inde sans l'approbation de la Ligue « la
seule organisation », selon lui, « habilitée à
parler au nom des musulmans », ce qui équivaut quasiment
à un droit de veto. Et, ayant obtenu des garanties dans ce sens
de la part du Vice-roi Lord Linlithgow, la Ligue musulmane apporte officiellement
son soutien à la Grande-Bretagne en guerre. Soutien que les responsables
du Congrès lui refusent sous le prétexte que cela cautionnerait
la politique impérialiste de Londres. En ce sens, et conformément
à la religion de non-violence de Gandhi, le Congrès s'oppose,
contrairement à la Ligue, à toute participation de l'Inde
à l'effort de guerre requis par le gouvernement britannique.
Et, sentant le pouvoir colonial évanescent, afin d'affirmer sa
position politique le Comité directeur du Congrès demande
à tous les ministres issus de ses rangs de démissionner
des assemblées provinciales. À la stupéfaction
du Vice-roi, Gandhi demande même aux Britanniques de déposer
les armes et de combattre l'Allemagne nazie par la non-violence [1].
Tout ceci a pour effet de renforcer considérablement
la position et le pouvoir de la Ligue musulmane sur la scène
politique indienne. Une des conséquences immédiates est
le ralliement à celle-ci de nombreux musulmans jusque-là
indécis, et en 1945 la Ligue remportera les neuf-dixièmes
des sièges réservés aux musulmans lors des élections
législatives destinées à renouveler les Assemblées
provinciales.
Ensuite, l'attachement obstiné
de Gandhi à la non-violence l'amènera à prendre
une décision politique aux conséquences dramatiques pour
l'Inde.
En
effet, le 7 décembre 1941, le Japon attaque Pearl Habour et entre
en guerre aux côtés des Puissances de l'Axe ce qui
détermine les Américains à se joindre aux forces
alliées. Et début 1942, alors que les troupes japonaises
progressent vers la Birmanie et l'Inde, Netaji Subha Chandra Bose, un
leader nationaliste indien de premier plan qui fut Président
du Congrès, se trouve en Allemagne et, confiant dans la victoire
de celle-ci contre l'ennemi commun britannique, propose d'ouvrir un
front anti-britannique en Inde et d'organiser une armée, l'Indian
National Army (INA) qui viendrait renforcer les forces nippones
ce que les services de renseignements alliés ne tardent
pas à apprendre.
Ultime rempart à
la progression des troupes japonaises, l'Empire des Indes est menacé
d'un danger imminent. Aussi, sous la pression des Américains,
le gouvernement britannique dépêche en mars 1942 une mission
en Inde visant à obtenir l'appui des principaux leaders politiques
indiens. Nous l'avons vu [2],
à ce moment de l'histoire, le gouvernement britannique sait que
l'indépendance de l'Inde est inévitable, aussi, Sir Stafford
Cripps, qui dirige cette mission, est porteur d'une proposition par
laquelle la Grande-Bretagne offre à l'Inde le statut de dominion
après la guerre comme un premier pas vers l'indépendance
complète en contrepartie de son engagement en faveur des
forces alliées.
Le
31 mars, Sri Aurobindo, le grand révolutionnaire retiré
à Pondichéry, dont l'aura est restée très
présente auprès du peuple indien et des leaders nationalistes,
envoie un message à Sir Stafford Cripps exprimant son adhésion
à l'offre du gouvernement britannique [3],
et il dépêche un émissaire auprès du Congrès
afin de convaincre celui-ci d'accepter la proposition Cripps. Sri Aurobindo
envoie aussi un télégramme à C. Rajagopalachari,
le futur gouverneur-général de l'Inde, dans lequel il
écrit : «
Vous conjure de sauver
l'Inde. Formidable danger d'une nouvelle domination étrangère
[le Japon est aux portes de l'Inde] quand l'ancienne est en train de
s'éliminer d'elle-même [4].
» Mais si Nehru et quelques dirigeants du Congrès
accueillent favorablement la proposition Cripps, Gandhi la trouve inacceptable,
« à cause de son opposition à la guerre [5]
», et Maulana Abdul Kalam Azad, alors Président du Congrès,
la désapprouve également. Très influencé
par la personnalité de Gandhi, Nehru se range finalement à
son avis, et le Congrès rejette la proposition Cripps qui, si
elle eut été acceptée, aurait peut-être évité
la partition de l'Inde et le bain de sang qu'elle entraîna, ainsi
que trois guerres avec le Pakistan, et l'imbroglio du Cachemire où
les civils indiens paient encore aujourd'hui le prix de leur vie.
Plus grave encore, en août 1942,
alors que la guerre fait rage et que son issue est incertaine, Gandhi,
voulant profiter de l'affaiblissement de l'Angleterre, lance le mouvement
d'agitation nationale anti-britannique « Quit India »
(Quittez l'Inde !) qui sonne comme une véritable déclaration
de guerre. D'autre part, bravant le gouvernement colonial,
Gandhi revendique le droit de négocier directement avec le pouvoir
nippon dont il veut combattre les forces par des moyens non-violents.
La répression des autorités britanniques est impitoyable [6].
Les principaux leaders du Congrès, dont Gandhi et Nehru, sont
emprisonnés, et ils ne seront libérés qu'à
la fin de la guerre.
Aussi, dans les années d'après-guerre,
les Britanniques, qui tiennent à garder un contrôle, même
partiel, sur le continent indien afin de préserver leurs intérêts
géostratégiques, sans pour autant appuyer dans un premier
temps le projet de création du Pakistan, favoriseront toutefois
les revendications de la Ligue musulmane, fidèle dans l'adversité,
par rapport à celles d'un Congrès hostile dont ils se
méfieront. Et, comme nous le verrons, ils poursuivront cette
politique après la partition en protégeant le Pakistan
lors du conflit contre l'Inde relatif au Cachemire en 1947-48.
En 1945, la Grande-Bretagne, bien que
victorieuse, sort de la guerre très affaiblie, non seulement
économiquement et militairement, son prestige a aussi perdu de
sa superbe après les revers subis en Asie du Sud-Est [7].
Elle n'apparaît plus comme la nation invincible qui avait établi
le plus grand Empire du Monde. Aussi, elle n'est
plus en mesure de contenir une éventuelle révolte du peuple
indien, et ce, d'autant que militairement elle ne peut plus compter
sur ses régiments de cipayes tant la popularité de l'INA
de Subash Chandra Bose y est répandue [8].
En effet, pour la plupart des Indiens, les soldats de l'INA sont des
héros ayant combattu pour la libération de la Mère
patrie. En outre, l'Empire des Indes est économiquement
ruiné par l'effort de guerre. Déjà en 1943, la
grande famine du Bengale a emporté quatre millions de vies
quatre millions ! L'Angleterre n'a donc plus les moyens d'entretenir
et de conserver le « joyau de la Couronne ». D'aucuns diraient
qu'elle n'a plus rien à en tirer.
À ce moment crucial, et alors qu'une
conférence inter-parti, tenue à Simla le 25 juin sous
la présidence du Vice-roi Lord Wavell, a échoué
devant l'intransigeance de Jinnah, les Travaillistes, favorables depuis
plusieurs années à l'émancipation de l'Inde, remportent
les élections en juillet. Le gouvernement travailliste nouvellement
élu, avec à sa tête le Premier ministre Clement
Attlee, décide d'accorder à l'Inde son indépendance.
La lutte pour une Inde indépendante
ne va plus maintenant se jouer entre les Indiens et le colonisateur
britannique, mais entre hindous et musulmans représentés
réciproquement par le Congrès et la Ligue musulmane qui
sont devenus les deux partis dominant la scène politique indienne.

« Direct Action » : le rêve
d'une Inde unie se brise
Afin de justifier la nécessité
d'un État séparé pour les musulmans auprès
du gouvernement britannique, Jinnah prend pour preuve les émeutes
qui se développent dans tout le pays entre hindous et musulmans
que les manuvres politiques fomentées par les Britanniques
et la Ligue musulmane ont dressés les uns contre les autres.
Si les tensions entre les deux communautés
ne sont pas le fait du colonisateur britannique elles sont attestées
bien avant son arrivée au pouvoir, surtout à partir du
XVIIe siècle celui-ci va les exploiter politiquement
et les exacerber. Les changements institutionnels
introduits par les Anglais, notamment l'adoption d'un électorat
séparé pour les musulmans instauré par les réformes
dites de « Morley-Minto » en 1909, favoriseront largement
la polarisation politique autour des facteurs religieux [9].
Jinnah en fera de même pour justifier sa dérive pan-islamique
et la revendication du Pakistan.
Malheureusement,
l'outrecuidance de Jawaharlal Nehru et l'intransigeance de Gandhi, obstinément
attaché à la non-violence comme nous l'avons vu, et son
attitude pro-musulmane face à une Ligue musulmane déterminée
à faire aboutir son projet de partition, par la force si besoin
est, contribueront grandement à l'échec de la mise en
place d'un gouvernement intérimaire et d'une constitution pour
une Inde libre satisfaisant les deux parties [10]
ce qui aurait évité la partition du pays.
Le 5 janvier 1946, une délégation
de parlementaires britanniques, chargée de faire le point sur
la situation, arrive en Inde où elle rencontre les principaux
dirigeants politiques dont Jinnah. Celui-ci, fidèle à
la théorie des deux nations, est défavorable à
la participation des musulmans dans un gouvernement d'union nationale,
et, fort de sa position acquise durant la guerre, il plaide pour la
création du Pakistan. Jinnah assure aux représentants
de Sa Majesté que le Pakistan restera au sein de l'empire, qui
plus est, avec à sa tête un Gouverneur général
britannique. Position qu'il réitère auprès de la
commission envoyée par le gouvernement Attlee en mars 1946. Cette
commission a pour objectif de définir les différentes
étapes du transfert de pouvoir aux mains d'un gouvernement indigène
intérimaire et d'élaborer la Constitution de l'Inde libre
avec les représentants du Congrès et de la Ligue musulmane.
Le Congrès, quant à lui,
va s'opposer en vain à cette vivisection de l'Inde sur une base
religieuse. Gandhi dénonce la théorie des deux nations
défendue par Jinnah les musulmans étant principalement
des Indiens convertis, et pour éviter la partition, il suggère
à la commission de proposer à Jinnah de former le gouvernement
intérimaire, dans l'espoir que ce dernier acceptera la création
d'un gouvernement d'union nationale. Car, une des motivations principales
au refus de Jinnah à participer à un tel gouvernement
est qu'au regard du poids politique des musulmans en Inde les ministres
musulmans y seront forcément minoritaires et le Premier ministre
sera issu des rangs du Congrès. Mais Jinnah
rejette l'offre de Gandhi. Intransigeant, il brandit la menace de la
partition afin d'obtenir de nouvelles concessions de la part du Congrès
et des Britanniques [11].
En fait, Jinnah aurait peut-être consenti à conserver une
Inde indivise mais à la seule condition qu'hindous et musulmans
soient représentés à égalité dans
le Gouvernement central alors que les hindous sont presque trois
fois plus nombreux , et que les provinces jouissent d'une large
autonomie pour laisser aux musulmans une grande marge de manuvre
là où ils se trouvent en majorité. Les dirigeants
du Congrès souhaitaient, au contraire, un Gouvernement central
fort, indispensable à leurs yeux à la cohésion
de la nation.
Toutefois, début juillet 1946,
après d'âpres négociations, un accord fragile est
obtenu sous la pression des Britanniques. Mais, à la stupéfaction
générale, Jawaharlal Nehru, qui vient de prendre ses fonctions
de Président du Congrès, fait une déclaration remettant
en cause cet accord lors de la conférence de presse qu'il donne
suite à son élection. Il laisse entendre que le Congrès
se réserve le droit d'en modifier le contenu s'il le juge nécessaire
pour l'intérêt du pays.
Pour Jinnah il s'agit là d'un véritable
casus belli. La déclaration unilatérale de Nehru est pour
lui la preuve flagrante qu'aucune entente ne pourra jamais être
trouvée avec le Congrès et que les musulmans ne peuvent
lui accorder aucune confiance. Malgré le désaveu des propos
de Nehru par le Congrès et les pressions du gouvernement britan-nique,
Jinnah dénonce l'accord et refuse désormais tout compromis
politique avec le Congrès, ruinant ainsi l'espoir de création
d'un gouvernement d'unité nationale, et par-là, d'une
entente entre hindous et musulmans.
Le rêve d'une Inde libre et unifiée
vient de se briser définitivement.
Jinnah
et les dirigeants de la Ligue musulmane sont maintenant farouchement
déterminés à obtenir la création du Pakistan
et ils feront tout à l'avenir pour bloquer les négocia-tions.
Jinnah déclarera : « L'Inde sera divisée
ou détruite. »
Et le 27 juillet 1946 à Bombay,
les leaders de la Ligue musulmane décident d'un programme baptisé
« Direct Action » (Action directe) pour obtenir
la création du Pakistan. Ils demandent aux musulmans indiens
d'être prêts à tous les sacrifices et autorisent
le Comité directeur de la Ligue à préparer ce programme
afin d'organiser la « nation musulmane » indienne pour le
combat imminent qui sera mené selon les méthodes qu'il
jugera nécessaires.
Le Comité directeur décide
que le 16 août 1946 sera déclaré « Journée
d'action directe ». « Ce jour », déclare
Jinnah, « nous dirons adieu aux méthodes cons-titutionnelles.
»
De fait, ce 16 août, au cours d'immenses
manifestations musulmanes qui ont lieu dans toute l'Inde, Jinnah lance
ses milices contre la communauté hindoue du Bengale, et particulièrement
celle de Calcutta, avec la complicité du ministre en charge de
cette province, H. S. Suhrawardy, leader de la Ligue musulmane. Pendant
trois jours, les musulmans massacrent les hindous, enlèvent et
violent leurs femmes, pillent leurs biens et brûlent leurs maisons
sans que les autorités n'interviennent. Curieusement, le gouverneur
britannique de la province ainsi que le gouvernement central ne prennent
aucune mesure alors que des rapports alarmants leur parviennent faisant
état de ces atrocités. La police et l'armée n'interviendront
que lorsque les hindous, ayant réussi à s'organiser, répliqueront
à leur tour. Le calme ne sera rétabli qu'après
une semaine d'affrontements sanglants.
Pour la seule ville de Calcutta, près
de 6 000 personnes trouvent la mort et 20 000 autres sont blessées
ou violées au cours de ces violences qui affectent principalement
la communauté hindoue, et 100 000 se retrouvent sans abri.
Dans les semaines qui suivent les événements
de Calcutta, la nouvelle se répand dans tout le pays et des affrontements
intercommunautaires se développent dans d'autres villes.
Comme l'ont voulu Jinnah et les responsables
de la ligue musulmans, la « preuve » est ainsi faite qu'hindous
et musulmans ne peuvent vivre ensemble.

Vers l'Indépendance et la partition
Le
20 février 1947, Clement Attlee prononce un discours à
la Chambre des communes qui scelle le destin de l'Inde. Après
les échecs diplomatiques et devant la crainte d'une explosion
généralisée de violence, désireux d'accorder
à l'Inde son indépendance rapidement, il fixe la date
de juin 1948 comme limite au transfert des pouvoirs. Le Vicomte Lord
Mountbatten est nommé Vice-roi des Indes en succession de Lord
Wavell qui s'opposait à toute démarche hâtive qu'impliquerait
nécessairement une date butoir.
La Ligue musulmane lance alors une série
de « Direct Action » afin d'imposer sa férule
dans toutes les provinces qu'elle convoite pour le Pakistan. Au Punjab,
ces violences provoquent la démission d'un gouvernement d'union
composé de musulmans, d'hindous et de sikhs conduit par Malik
Khiza Hyat Khan. Ce qui amène les dirigeants du mouvement sikh
Akali [12]
à appeler les hindous et les sikhs à s'unir pour éradiquer
la Ligue musulmane du Punjab. Des affrontements violents et des massacres
abominables s'ensuivent dans tout le Punjab et se propagent dans les
provinces du Nord-Ouest où plus de 2 000 personnes trouvent la
mort et des milliers d'autres sont blessées.
Dans l'intention de faire cesser les violences
et d'apaiser les esprits, le Comité directeur du Congrès
passe une résolution proposant la partition du Punjab et du Bengale
sur une base religieuse. Ainsi, cédant au chantage par la violence
de la Ligue musulmane, le Congrès avalise implicitement la partition
de l'Inde.
Dès son arrivée en Inde,
Lord Mountbatten consulte Gandhi qui, à la stupéfaction
générale, lui fait la proposition invraisemblable suivante
: pour contrecarrer les projets de partition, il suggère que
Jinnah forme son propre gouvernement, fût-il composé entièrement
de ministres musulmans. Inutile de dire que le Congrès, malgré
sa vénération pour Gandhi, rejette cette proposition catégoriquement.
Ce désaveu cinglant va provoquer le retrait de la vie politique
de Gandhi qui ne participera donc plus directement aux négociations
aux côtés du Comité directeur du Congrès.
Au
regard de la situation explosive et des antagonismes politiques et religieux
prévalant en Inde, Lord Mountbatten au pragmatisme très
anglais pressé par un agenda serré, arrive à
la conclusion que la partition de l'Empire des Indes, revendiquée
par Jinnah, est la seule solution permettant un désengagement
rapide des Britanniques. Il va donc user de ses talents de diplomate
et de son pouvoir de Vice-roi pour convaincre les responsables du Congrès
du caractère inéluctable de celle-ci [13].
Un à un, lassés par des
mois de négociations stériles et assurés d'emprisonnement
en cas d'opposition aux autorités britanniques, les dirigeants
du Congrès vont se rallier au projet de partition.
Le premier d'entre eux est Sardar Vallabhbhai
Patel, pourtant un fervent nationaliste, mais qui, à ce stade
des négociations, est persuadé qu'aucune entente n'est
maintenant possible avec les leaders de la Ligue musulmane aux méthodes
devenues anticonstitutionnelles. Patel est aussi persuadé, comme
la majorité des responsables du Congrès, que la partition
sera brève et que les provinces sécessionnistes reviendront
dans le giron de l'Union indienne.
Probablement
influencé par Patel, mais aussi par le charme de Lord et Lady
Mountbatten, Nehru cède à son tour [14].
Et dans son sillage la plupart des dirigeants du Congrès
à l'exception notoire du leader musulman Maulana Abdul Kalam
Azad.
De l'aveu même
de Nehru et Maulana Abdul Kalam Azad, seul Gandhi, bien qu'officiellement
retiré de la vie politique, aurait pu infléchir la décision
du Congrès. S'il leur en avait donné l'ordre, les responsables
du Congrès se seraient opposés à la partition.
Mais Gandhi n'en fit rien. Lui qui par le passé s'était
engagé dans des actions politiques dont la pertinence n'était
pas toujours de mise, voire même contraire aux intérêts
de l'Inde comme dans le cas de son action en faveur du Khalifat [15]
, allant parfois jusqu'à poursuivre des grèves de
la faim pour faire aboutir ses revendications politiques, ne s'opposa
pas à la partition, pourtant cruciale pour l'Inde. Au contraire,
ses déclarations sur le sujet sont très ambiguës.
Déjà en 1942, Gandhi écrivait dans le Harijan
que si la grande majorité des musulmans demandait la partition
il fallait la leur accorder, et en 1944 il mena des négociations
secrètes avec Jinnah sur la base de la partition. De même,
Gandhi approuva une résolution du Congrès en 1945, affirmant
qu'il était impensable de contraindre les populations de quelque
région que ce soit à rester dans l'Union indienne contre
leur volonté. Rappelons aussi qu'en mars 1947, le Comité
directeur du Congrès, dont il était membre, suggéra
la partition du Punjab et du Bengale sur une base religieuse afin d'y
ramener la paix civile.
La partition semblait entendue.
Mais, à aucun moment au cours des
différentes négociations les dirigeants du Congrès
n'évoquèrent la situation des minorités religieuses,
hindoues ou sikhes, qui allaient se retrouver en territoire pakistanais
après la partition. Puisque, comme l'affirmait Jinnah, les musulmans
ne pouvaient vivre en paix avec celles-ci, comme en témoignaient
les affrontements qui ensanglantaient tout le pays, qu'allait-il advenir
de ces minorités ? Le Congrès pensait-il que du fait que
des musulmans resteraient dans l'Union indienne cibles potentielles
de représailles cela suffirait à garantir la sécurité
des hindous et sikhs au Pakistan ? Terrible calcul ou inconscience
Le 3 juin 1947, Lord Mountbatten annonce
la décision finale du gouvernement britannique d'accorder celle-ci
sur la base de la partition. La date du 15 août 1947 est fixée.
En deux mois et demi, il va donc falloir
définir les modalités de la partition, résoudre
les problèmes de répartition des territoires et des populations,
et mettre en place les structures gouvernementales et administratives
des deux nouveaux dominions ! Cette précipitation insensée
favorisera les chantages et rendra les négociations particulièrement
difficiles. Elle fera aussi que la partition sera largement improvisée.
Les conséquences en seront dramatiques.
Le 14 juin, au nom du Congrès,
Nehru accepte officiellement cette division du pays sur une base religieuse
sans qu'aucun représentant de la communauté hindoue n'ait
été consulté. En effet, aussi
invraisemblable que cela puisse paraître, les partis politiques
hindous dont le Hindu Mahasabaha, présidé par Shyama Prasad
Mokherjee futur ministre du premier gouvernement Nehru ,
n'auront jamais été invités à la table des
négociations.
La partition de l'Inde aura donc été
négociée par le parti laïc du Congrès, d'obédience
socialiste, avec les fondamentalistes musulmans de la Ligue musulmane
sous la supervision des autorités britanniques soucieuses de
préserver leurs intérêts dans la région [16].
La logique absurde de la partition du
territoire indien qui est retenue et définie dans « l'Independence
Bill » est la suivante : en ce qui concerne les provinces
directement administrées par les Britanniques, l'appartenance
majoritaire de la population à la confession religieuse musulmane
ou hindoue déterminera son rattachement à l'un ou l'autre
des deux États, l'Inde ou le Pakistan. Quant aux quelque 600
États princiers sous suzeraineté britannique, comme le
Cachemire du Maharaja Hari Singh, il est décidé que chaque
dirigeant, et lui seul, aura la liberté de choisir, soit le rattachement
de son état à l'Inde ou au Pakistan, soit l'indépendance.
(voir carte de l'Empire
avant la partition.)
Le tracé des frontières
entre l'Union indienne et le Pakistan est confié à une
commission qui siège à la Haute Cour de Lahore du 21 au
31 juillet 11 jours seulement ! Sir Cyril Radcliffe, juriste
londonien ignorant tout de l'Inde, qui dirige cette commission, conscient
de la difficulté extrême de sa mission, aurait déclaré
: « Ce n'est pas d'un scalpel de chirurgien dont je vais
avoir besoin pour disséquer le Punjab et le Bengale, mais de
la hache d'un boucher ! » Le tracé final de la frontière
est arrêté le 17 août, au lendemain de la proclamation
des indépendances. Celle-ci coupe le Punjab en deux, passant
entre Amristar inclus dans l'Inde, et Lahore rattachée au Pakistan.
Le
Pakistan se trouve ainsi composé de la partie occidentale du
Punjab, du Sindh, du Baloutchistan, des provinces du Nord-Ouest limitrophes
de l'Afghanistan qui forment le Pakistan Occidental, et du Bengale de
l'Est (le « Pakistan Oriental »), séparés
par plus de 2 000 kilomètres de territoire indien. Cette absurdité
aboutira en 1971 à la sécession du Pakistan Oriental,
l'actuel Bangladesh.
Le 15 août 1947, l'Inde et le Pakistan
sont déclarés indépendants dans le cadre du Commonwealth.
L'Empire des Indes n'est plus.
La théorie des deux nations énoncée
par le Aligarth Movment de Syed Ahmed au XIXe siècle, reprise
par Mohammad Iqbal puis Jinnah a prévalu sur la tolérance,
la raison et l'attachement à la nation indienne.
Le seul pays hindou de la planète
voit le berceau de sa civilisation, le pays des sept rivières,
la vallée de l'Indus et de ses affluents, revenir à l'État
islamique du Pakistan.
Ainsi,
avec la partition, les Britanniques, afin de privilégier leurs
propres intérêts dans la région, mettent sur le
même plan l'Inde laïque, multi-religieuse et démocratique
où les droits des citoyens sont régis par des lois modernes,
et le Pakistan, état islamique, anti-hindou et anti-indien, ne
reconnaissant quasiment aucun droit aux non-musulmans.
Et alors que près de la moitié
des musulmans restent en Inde environ 45 millions où
ils conservent tous leurs biens et bénéficient des même
droits que les hindous, les hindous et les sikhs au Pakistan se retrouvent
privés de droits civiques et de protection, sont massacrés
et spoliés de leurs biens. Les survivants quittent en masse le
Pakistan pour l'Inde dans un exode effrayant. La
plupart des districts du Punjab peuplés de sikhs ayant été
intégrés au Pakistan Occidental par le tracé des
frontières, en quelques semaines environ 2,5 millions de sikhs
émigrent vers le Punjab indien dans des conditions épouvantables [17].
Le retour de ces populations et leurs témoignages provoquent
une terrible vague de représailles en Inde sur les minorités
musulmanes.
La violence éclate alors partout,
dans les villes comme dans les campagnes ; viols, assassinats, banditisme,
massacres en séries.
On
estime à environ 14 millions le nombre de personnes déplacées
et à près d'un million de personnes massacrées,
principalement des hindous et des sikhs. Avant la partition, on comptait
25% d'hindous dans les États constituant le Pakistan Occidental,
immédiatement après celle-ci ils n'étaient plus
que 15% [18].
La partition n'avait été
qu'un expédient politique largement improvisé, mais les
violences inter-communautaires abominables la rendirent irrémédiable,
enracinant l'hostilité entre les deux nouveaux États.
Dès l'automne
1947, elle devait conduire à l'invasion du Jammu-Cachemire par
le Pakistan, et au conflit avec l'Inde qui s'ensuivit. Conflit que les
Nations-Unies ne sauront résoudre leurs résolutions
ne seront jamais implémentées, laissant ainsi s'instaurer
un foyer de tensions permanent entre les deux pays.
Et « l'imbroglio cachemiri »
sera, comme nous le verrons, à l'origine de trois autres guerres
entre l'Inde et le Pakistan.
À
suivre
(3ème
partie)
Laurent Baldo
Décembre 2003
© Jaïa Bharati
(Laurent Baldo a vécu
sept ans en Inde, pays où il retourne régulièrement
et où il a de nombreux contacts. Il est membre fondateur de l'association
Jaïa-Bharati dont
il est Président.)

Références :
History of the Freedom
Movement in India, R. C. Majumdar, Vol. 1, 2 et 3, Ed. Firma KLM
Private Ltd, Calcutta, Inde, 1963.
The History and Culture
of the Indian People, General Éditor R.C. Majumdar, Ed. Bharatiya
Vidya Bhavan, Bombay 1955.
L'Inde de L'Islam,
Louis Frédéric, Ed. Arhaud, Paris 1989.
L'Inde
et la Renaissance de la Terre, Sri Aurobindo, Ed. Institut de
Recherches Évolutives, Paris, 1998.
Histoire de l'Inde,
A. Daniélou, Ed. Fayard, Paris, 1971.
Un
Autre regard sur l'Inde, F. Gautier, Ed. du Tricorne, Genève,
2000.
Les hommes qui tuèrent
Gandhi, Manohar Malgonkar, Traduit de l'anglais par Patrice Shankar
Ghirardi, Éd. du Cerf, Paris, 1998.
La
Vie de Sri Aurobindo, Peter Heehs, traduit de l'anglais par
Patrice Shankar Ghirardi, Ed. du Rocher, Paris, 2003.
Vers l'Indépendance,
Écrits et discours (1906-1910) de Sri Aurobindo, Traduit du bengali
au français par Michèle Lupsa, Éd.
Sri Aurobindo Ashram Press, Pondichéry, 2002.
Guerres contre l'Europe,
Alexandre Del Valle, Ed. des Syrtes, Paris, 2001.
Land
of the Passes, Claude Arpi, journal indien online Rediff.com,
juillet 2002.
Word of the wises, Claude
Arpi, journal indien online Rediff.com, 14 mai 2003.
Kashmir The Crown
of India, Prof. L. N. Dhar, Vivekananda Kendra, Kanyakumari, Inde,
juin 1984. Site internet http://www.kashmir-information.com/
J&K FAQ Frequently
Asked Questions, compilé par CIFJKINDIA Team.
Site internet : http://www.cifjkindia.org
Les Mystères
de l'Inde, magazine L'Histoire, n°278.
Notes :
[1] Voici
un extrait de la lettre insensée que Gandhi écrivit à
l'intention des Britanniques publiée dans le Amrita Bazar
Patrika le 4 juillet 1940 sous le titre « Appel du Mahatma
Gandhi à tous les Britanniques » : « J'appelle à
la cessation des hostilités
car la guerre est mauvaise
en essence. Vous voulez tuer le nazisme : vos soldats font la même
uvre de destruction que les Allemands. La seule différence,
c'est que vos soldats ne sont peut-être pas aussi perfectionnistes
que les soldats allemands
J'ose vous proposer une voie plus noble
et plus brave, digne des soldats les plus braves. Je veux que vous combattiez
le nazisme sans armes ou
avec des armes non-violentes. Je voudrais
que vous déposiez les armes que vous avez car elles sont incapables
de vous sauvez ni de sauver l'humanité
Invitez Herr Hitler
et Signor Mussolini à prendre ce qu'ils veulent des pays que
vous dites vous appartenir. Qu'ils prennent possession de votre belle
île et de toutes vos belles demeures. Vous leur livrerez tout
cela mais ni votre âme ni votre esprit
». (L'Inde
ou la Renaissance de la Terre, page 254).
[2] Voir première
partie.
[3] Voici le texte de ce message : « En tant
qu'ancien leader nationaliste qui a travaillé à l'indépendance
de l'Inde, bien qu'aujourd'hui mon activité ne s'exerce plus
dans le domaine politique mais dans le domaine spirituel, je désire
vous exprimer ma reconnaissance pour tout ce que vous avez fait afin
de rendre cette offre possible. J'accueille cette proposition comme
l'occasion qui est donnée à l'Inde de déterminer
par elle-même et d'organiser comme elle l'entend sa liberté
et son unité, ainsi que de jouer son plein rôle parmi les
nations libres du monde. J'espère qu'elle sera acceptée
et que, mettant de côté toutes les discordes et les divisions,
on en fera un bon emploi... J'offre mon adhésion publique au
cas où cela serait d'une aide quelconque pour votre action. »
Le lendemain, 1er avril, Cripps répondait avec le télégramme
suivant : « Je suis extrêmement touché et heureux
de votre message si aimable, m'autorisant à informer l'Inde que
vous, qui occupez une place unique dans l'imagination de la jeunesse
indienne, êtes convaincu de ce que la déclaration du gouvernement
de Sa Majesté accorde, en grande mesure, cette liberté
pour laquelle le Nationalisme indien a lutté pendant si longtemps.
» (L'Inde ou la Renaissance de la Terre, page 261).
[4] Ibid. p 262
[5] Voici ce que répondit Gandhi à
Duraiswami Iyer, le messager de Sri Aurobindo : « Il s'est retiré
de la vie politique, de quoi se mêle-t-il ? ». (L'Inde
ou la Renaissance de la Terre, page 262).
[6] « Le 8 août 1942, écrit Alain
Daniélou dans son Histoire de l'Inde, le Congrès
vota une motion de Quit
India et annonça
un mouvement de désobéissance civile. Beaucoup d'Indiens
modérés étaient, comme les Anglais, choqués
de ce coup de poignard dans le dos d'une Angleterre qui se défendait
vaillamment. Ce geste aussi peu chevaleresque qu'inutile était
typique de la mentalité de Gandhi. Tagore, qui s'était
dissocié du Congrès depuis que Gandhi en avait assumé
la direction, y était très opposé. »
[7] Notamment à Singapour
et en Birmanie. Dans le Pacifique, les Japonais infligèrent aussi
de lourdes pertes à la flotte britannique entamant sa suprématie
sur les mers.
[8] À tel point que, lorsque
Lord Attlee se rendit au Bengale en 1956, il répondit au Gouverneur
de la province P. B. Shakrawarti, qui l'interrogeait sur les raisons
du départ précipités des Britanniques, «
que le facteur déterminant en avait été l'action
de Netaji Subha Shandra Bose, qui avait fragilisé les fondations
mêmes de la loyauté envers la Couronne des forces terrestres
et navales indiennes ».
Étonné P. B. Shakrawarti demanda à Attlee si le
mouvement « Quit India » lancé par Gandhi n'y avait
pas contribué. Ce à quoi Attlee répondit que ce
mouvement s'était éteint bien avant 1947, et lorsque P.
B. Shakrawarti lui demanda quelle avait été l'influence
de l'action de Gandhi sur cette décision, Attlee eut un sourire
de dédain et il proféra lentement, en appuyant sur chaque
syllabe « Mi - ni - male ». (History of the Freedom Movement
in India, R.C. Majumdar).
[9] Réformes du nom du Secrétaire
d'État pour l'Inde Lord Morley et du Vice-roi des Indes Lord
Minto. Dans son éditorial du 30 août 1909 pour le journal
Karmayogin, Sri Aurobindo écrivait prophétiquement
: « Lord Morley a entrepris de séparer les hindous des
musulmans dans le domaine politique. [
] À cet égard,
Lord Morley ne cache pas son jeu ; il a adopté ouvertement ce
principe, 'diviser pour régner', et engendré une inimitié
permanente entre hindous et musulmans. [
] Que ceux qui adhéreront
à ces réformes sachent qu'ils se feront complices de la
division pratiquée par Morley. Ils seront responsables des conflits
entre communautés et feront obstacle à l'unité
et à l'intégrité de l'Inde. » (Vers l'Indépendance,
page 103). Malheureusement les modérés du Congrés
suivront leur leader Gokhale et accepteront ces réformes.
[10] Voici quelques remarques de Sri Aurobindo relatives
à l'hypothétique unité recherchée par le
Congrès avec les fondamentalistes de la Ligue musulmane : «
Au lieu de faire ce qu'il fallait, le Congrès essaie de flirter
avec Jinnah et Jinnah, lui, pense simplement qu'il n'a qu'à insister
obstinément sur ses conditions pour les obtenir. Plus ils essaient,
plus Jinnah devient intransigeant. » 3 décembre
1939. (L'Inde et la Renaissance de la Terre, page 246).
« [
] (Question) : Comme notre conscience nationale est
plus développée, il y aurait davantage de chances que
nous nous unissions si les Britanniques ne soutenaient pas Jinnah et
ses revendications musulmanes. (Réponse de Sri Aurobindo)
: Est-ce que Jinnah veut l'unité ?
Ce qu'il veut, c'est
l'indépendance pour les musulmans et, si possible, dominer l'Inde.
C'est le vieil esprit
» 7 octobre 1940. (L'Inde
et la Renaissance de la Terre, page 255).
[11] Voici un extrait de la réponse que Jinnah
apporta à la commission : « Les musulmans ont une conception
de la vie différente de celle des hindous. Ils admirent des qualités
différentes chez leurs héros, ils ont une culture différente
aux origines arabes et perses et non sanscrites. Leurs habitudes sociales
sont elles aussi entièrement différentes. La société
hindoue et sa philosophie sont les plus exclusives du monde. Musulmans
et hindous ont vécu côte à côte en Inde pendant
des siècles mais si l'on se rend dans n'importe quelle ville
indienne, on y verra des quartiers différents pour les hindous
et les musulmans. Il n'est pas possible de bâtir une nation sans
qu'il y ait des facteurs essentiels d'unité.
Comment le gouvernement de votre Majesté
pourra-t-il faire cohabiter 100 millions de musulmans avec 250 millions
d'hindous alors que leurs manières de vivre sont si différentes
? » (History of the Freedom Movement in India, R. C. Majumdar).
[12] Avant de devenir un parti
politique, l'Akali Dal était une organisation paramilitaire chargée
de protéger les sikhs de la répression du pouvoir colonisateur.
Elle fut fondée en 1920, après les massacres perpétrés
par les Britanniques au Punjab pour mater une grève générale
lancée par Gandhi, notamment celui d'Amristar le 13 avril 1919
où près de 400 civils trouvèrent la mort et plus
de 2 000 furent blessés.
[13] Voici ce qu'écrit
l'historien Guy Deleury à ce sujet : « En 1947, l'Angleterre
avait fait ses comptes. Son économie exténuée par
la guerre nazie ne lui permettait plus aucune fantaisie, fût-ce
au nom de l'orgueil impérial. L'Inde avait été
conquise et occupée pour les profits énormes que l'industrie
métropolitaine pouvait en tirer. Elle était maintenant
ruinée et aux prises avec un chaos économique et politique
qui ne pouvait qu'empirer. Il fallait donc liquider au plus vite cette
mauvaise affaire : Lord Mountbatten en fut chargé. Contrairement
à l'image aberrante que Lapierre et Collins ont dessinée
de lui... peu d'hommes ont joué dans l'histoire un rôle
aussi néfaste et avec tant de grâce. Intoxiqué par
la cautèle de Mohammed Ali Jinnah qui se présenta à
lui comme le porte-parole de tous les musulmans de l'Inde, Mountbatten
réussit à persuader les leaders du Congrès et Nehru
lui-même à la vivisection
de leur pays en deux Indes, l'une indienne, l'autre musulmane, pour
prix d'une rapide indépendance
[Ainsi] le descendant de
la reine Victoria ajouta aux nombreux millions de victimes que la domination
anglaise avait coûtés à l'Inde, un nouveau million
de cadavres comme prix de son départ. »
Le Modèle indou, page 242, Guy Deleury, (Hachette, 1978),
cité par François Gautier dans Un Autre Regard sur
l'Inde, page 115.
[14] Certains historiens avancent même
que Lady Mountbatten était la maîtresse de Nehru. Lord
Mountbatten tout à fait conscient de cette relation l'aurait
utilisée à ses fins politiques et carriéristes.
[15] Voir première
partie.
[16] Début juillet, le Comité directeur
du Hindu Mahasabaha, passe une résolution déclarant :
« L'Inde est une et indivisible et il n'y aura pas de paix possible
tant que les territoires séparés ne seront rendus à
l'Union indienne et qu'ils en feront partie intégrante. »
Et le Mahasabaha appela à une journée nationale «
anti Pakistan ». Mais le sort de l'Empire des Indes était
scellé. Les Britanniques avaient décidé de faire
du Congrès le seul représentant crédible du peuple
indien.
[17] La province du Punjab, longtemps dirigée
par les sikhs, fut, comme nous l'avons vu, divisée en deux d'un
trait de plume. Des millions de sikhs se retrouvèrent donc du
jour au lendemain sur la partie de territoire rattachée au Pakistan.
« Les musulmans », écrit l'historien indien R. C.
Majumdar dans son History of the Freedom Movement in India, «
avides de s'emparer des riches exploitations agricoles des sikhs, s'empressèrent
de les expulser et massacrèrent ceux qui leur résistaient.
» Et selon R. C. Majumdar, ils furent encouragés dans leur
entreprise par le gouverneur britannique du Punjab occidental, rattaché
au Pakistan, qui écrivit à Jinnah dans une lettre datée
du 5 septembre 1947 : « Je dis à tout le monde que je me
fiche de savoir comment les sikhs passent la frontière; ce qui
importe, c'est de se débarrasser d'eux aussi vite que possible.
»
[18] Aujourd'hui, il ne reste environ que 1%
d'hindous au Pakistan où le fondamentalisme musulman s'est exacerbé
depuis la dictature militaire du Général Zia Ul-Haq, alors
que près de 140 millions de musulmans vivent en Inde. Constituant
la deuxième communauté musulmane du monde, ils apportent
ainsi un démenti cinglant à la théorie des deux
nations et par là au concept même du Pakistan, État
créé pour les musulmans indiens.
