Étant donné
lhistoire amère quils ont en commun, peut-on sattendre
à ce que lInde et le Pakistan enterrent la hache de guerre
et fument le calumet de la paix ? Depuis trois ans, les deux pays se
sont engagés dans ce quils appellent un « processus
de paix », qui est surtout une tentative de normaliser leurs
relations tumultueuses. Le refus persistant du Pakistan dentretenir
des relations commerciales avec lInde nous rappelle, cependant,
que nous sommes encore loin dune normalisation pleine et entière.
Néanmoins, lInde
et le Pakistan discutent régulièrement du Cachemire et
cherche le moyen de résoudre deux autres sujets de discordes,
lun est le glacier de Siachen à lextrémité
nord de leur frontière, lautre Sir Creek, un marécage
au sud, dans lÉtat du Gujarat. Pendant ce temps, les djihadistes
établis au Pakistan continuent à mener des attaques audacieuses
loin à lintérieur du territoire indien, des plaines
gangétiques du nord jusquau sud même. Ces militants
terroristes, tels que le Lashkar-e-Toiba ou le Jaish-e-Mohammad,
sont la progéniture putative de larmée et des services
secrets pakistanais, et ils ont conservé leurs liens avec lestablishment
militaire. Pour ce dernier, ces groupes ont été des véhicules
précieux dans son conflit de basse intensité avec lInde,
centré sur lexportation du djihad. Avec ce conflit non
conventionnel, lInde sest retrouvée avec le taux
dattentats terroristes le plus élevé au monde.
Un autre facteur important
des relations indo-pakistanaises est laxe stratégique de
longue date entre la Chine et le Pakistan. Celui-ci a permis, au début
des années 1980, le transfert clandestin vers Islamabad, de technologies
nucléaires militaires et de systèmes de missiles complets.
Dans le triangle stratégique de lAsie du Sud, la Chine
et le Pakistan se sont alliés contre lInde. Les frontières
de lInde, de la Chine et du Pakistan se réunissent de fait
au Cachemire. Le cur de la dispute territoriale entre lInde
et la Chine, comme entre lInde et le Pakistan, est centrée
sur le Cachemire, qui est la zone disputée la plus grande et
la plus militarisée du globe, la Chine en détenant 20%,
le Pakistan 35% et lInde, les 45% qui restent. Le transfert de
territoires appartenant au Cachemire pakistanais, effectué en
1963 par Islamabad au profit de la Chine, na fait quaggraver
la complexité de la situation.
Quoiquil en soit,
dans la compétition qui oppose les tenants indiens du statu quo
aux irrédentistes pakistanais, le Cachemire est un symbole plutôt
que la cause des hostilités du sous-continent, lesquelles ont
des origines complexes où se mêlent lhistoire, la
religion et lesprit de revanche. Comme la déclaré
le chef militaire du Pakistan, Pervez Musharraf, juste avant quil
ne se saisisse du pouvoir par le coup dÉtat militaire de
1999, le conflit de basse intensité que le Pakistan entretient
avec lInde se poursuivrait même si le problème du
Cachemire était soudainement résolu dun coup de
baguette magique.
Pendant longtemps,
le Pakistan a mené sa guerre conventionnelle contre lInde
derrière le bouclier protecteur de la dissuasion nucléaire.
Bien quIslamabad ait répondu du « tac au tac »
aux essais nucléaires de lInde de mai 1998 par ses propres
essais, le Pakistan avait démarré son programme darmement
nucléaire bien plus tôt. Il est maintenant avéré
quavec laide directe de la Chine et par le biais de contrebandes
ingénieuses avec lOccident, le Pakistan a commencé
à développer son armement nucléaire au moins une
décennie avant lInde.
Les essais indiens
et pakistanais de 1998 ont rendu visibles des capacités nucléaires
déjà existantes, sans rien changer à léquation
militaire ni aux calculs stratégiques dans le sous-continent.
Ce nest pas par hasard que le Pakistan a commencé à
menacer la sécurité de lInde en exportant le djihad
à partir des années 1980, bien avant quIslamabad
ait testé un engin nucléaire. Mais après les essais
de 1998, le Pakistan commença ouvertement à brandir la
menace, auparavant implicite, de déclancher une guerre nucléaire
de première frappe si lInde ripostait à son terrorisme
transfrontalier continu. Le fait que New Delhi se soit retenu dattaquer
les sanctuaires terroristes au Pakistan malgré une escalade terroriste
des groupes djihadistes basés dans ce pays na fait quencourager
les généraux dIslamabad à continuer leur
guerre par procuration pour saigner lInde.
Le paradoxe est que
le Pakistan est, à la fois, un allié officiel de la guerre
antiterroriste menée par les États-Unis et un sponsor
du terrorisme. C'est le refuge principal dAl-Qaida, des talibans
et des terroristes cachemiris de toute origine. Alors que lOccident
nourrit une inquiétude constante que des terroristes puissent
se doter darmes de destruction massive, personne ne semble sapercevoir
que le Pakistan possède à la fois des terroristes soutenus
par lÉtat et des armes nucléaires sous le contrôle
de généraux islamistes.
Une autre ironie est
que le prétendu processus de paix a obligé New Delhi à
adoucir sa position. Bien que les brefs épisodes de gouvernement
démocratique à Islamabad aient été les seules
périodes durant lesquelles on ait pu observer à un rapprochement
entre lInde et le Pakistan, New Delhi na pas peu contribué
au renforcement de la légitimité du général
Musharraf, lorsquelle la soudainement invité à
un sommet de la paix en 2001. Aujourdhui, non seulement lInde
se retient de mentionner le manque de démocratie au Pakistan
mais, en un revirement politique majeur, elle en est venue à
considérer Musharraf comme un partenaire contre le terrorisme
et ce, bien que le régime dIslamabad demeure étroitement
lié à la terreur. La dernière perle de lInde
est laccord quelle a signé avec le régime
de Musharraf pour « réduire le risque daccidents
liés aux armes nucléaires ». Certes, lInde
se doit dapprofondir son engagement avec le Pakistan à
tous les niveaux, mais bâtir la confiance exige plus que des « gadgets »
de relation publique tels que cet accord.
Comment peut-on sattendre,
à une quelconque réduction de risques tant que les armes
nucléaires pakistanaises se trouvent entre les mains des militaires,
alors que celles de lInde sont sous le contrôle étroit
de ladministration civile ? Alors que le Pakistan a intégré
larmement nucléaire à sa doctrine et sa stratégie
de guerre, lInde doit se contenter dune menace de représailles.
Bien que la crainte existe que des terroristes acquièrent des
armes de destruction massives, les préoccupations actuelles concernant
lIraq, lAfghanistan et lIran obscurcissent la perception,
et personne ne réalise que le Pakistan est déjà
allé plus loin dans cette direction que dans nos pires cauchemars.
Si, pendant seize longues
années, le Pakistan na pas été capable de
sapercevoir que ses scientifiques, larmée et ses
services secrets avaient monté un réseau dachat
de technologie nucléaire au marché noir, comment peut-il
garantir une réduction de risque ou daccidents (quoique
cela veuille dire) ? Tout ce que laccord récemment signé
nous dit est quen cas « daccident »,
lÉtat concerné fera ce quil doit faire de
toute manière, à savoir « prendre immédiatement
les mesures qui simposent pour minimiser les conséquences
en termes de radiation » et, si besoin est, de partager toute
« information urgente » avec lautre côté.
Si un « accident » éventuel peut-être
gardé secret, on peut être sûr que les militaires
pakistanais sy emploieront au mieux.
En ce qui concerne
le large réseau de prolifération nucléaire du Pakistan,
un individu, A. Q. Khan, a servi opportunément de bouc émissaire,
dans une mise en scène qui a vu Musharraf lui pardonner puis
le soustraire aux enquêteurs internationaux en le plaçant
en résidence surveillée pour un temps indéfini.
On a fait croire au monde que Khan avait mis au point et fait fonctionner
un marché nucléaire de sa propre initiative. LInde
elle-même a contribué à laccréditation
de cette fable en se référant au « réseau
A.Q. Khan ».
Mais plus grave pour
lInde est la nucléarisation du terrorisme. Musharraf et
ses collègues peuvent continuer à exporter la terreur
aussi longtemps quils jouent au poker nucléaire avec lInde.
Réduire sa capacité de chantage nucléaire est donc
un élément clé si lon veut le contraindre
à agir contre le terrorisme transnational sur son propre sol.
Pourtant, depuis que le scandale sur lexportation illicite darmement
nucléaire par le Pakistan a été dévoilé,
lInde, loin de dépeindre le régime dIslamabad
comme un État voyou et proliférateur, a au contraire volé
à son secours avec ces conversations ostentatoires visant à
« établir la confiance. »
Aujourdhui,
le problème central qui va déterminer la paix et la sécurité
en Asie du Sud nest pas tant létat des relations
indo-pakistanaises que lavenir du Pakistan. Va-t-il se stabiliser
et devenir un État musulman modéré ou bien va-t-il
senfoncer davantage dans le militarisme, lintégrisme
et le fondamentalisme ? En labsence délections démocratiques
et de responsabilité politique, le régime de Musharraf
a créé une société « cocotte-minute »,
qui produit toujours plus dextrémisme et de terrorisme.
Ce dont le Pakistan a besoin est dune valve de sécurité
des élections véritablement démocratiques,
qui rendraient la parole aux masses et permettraient que les questions
soient tranchées par le bulletin de vote. Pour garantir une paix
durable dans le sous-continent, il faut que le Pakistan revienne à
la démocratie et que sa population connaisse les libertés
dont jouissent déjà les Indiens.
