
LA LIBERTÉ
COMME MANTRA
Traduction de larticle de Pran Nath
Luthra publié dans le journal indien de Delhi The Stateman
du 10 août 1997 à loccasion du Cinquantenaire de
lIndépendance de lInde.
Nous
assistons à une réjouissance générale accompagnée
dune généreuse ouverture des caisses de lÉtat
afin de célébrer de façon ostentatoire le jubilé
dor de lIndépendance de lInde. Il va sans doute
y avoir un rappel nostalgique des noms des piliers politiques dhier
tels que Tilak, Banerjee, Gandhi, Nehru, Boses, Rajendra Prasad, Vallabhbhai
Patel, Maulana Azad et leurs pairs.
Seuls quelques-uns
se souviendront peut-être du rôle titanesque de Sri
Aurobindo qui, dans les premières années de ce siècle,
a révolutionné la politique indienne en exigeant directement
et immédiatement lIndépendance, alors que la politique
du Congrès était celle de la « mendicité ».
Cest en effet Sri Aurobindo qui créa un véritable
bouleversement politique en Inde.
Sri Aurobindo avait
pour caractéristique de parler vrai. Il pensait que les leaders
indiens nétaient pas assez intrépides ni courageux
pour employer le mot « liberté » dans leurs
aspirations politiques. Il avait fait remarquer quIl y a des
gens qui ont peur d'utiliser le mot « liberté »,
mais j'ai toujours employé ce mot parce que cela a été
le mantra de ma vie pour aspirer à la liberté de ma nation.
Les autorités
britanniques en Inde reconnaissaient en Sri Aurobindo le plus déterminé,
le plus inébranlable et dangereux des hommes politiques indiens
de lépoque. Lord Minto, le Vice-roi des
Indes avait dit : Sri Aurobindo était lhomme le plus
dangereux... et il avait une grande influence sur les étudiants.
Minto appelait Sri Aurobindo le redoutable... Arabinda [1].
De même, Sir Edward Baker, le Gouverneur du Bengale, considérait
Sri Aurobindo comme lopposant le plus insigne et le plus dangereux...
Cest à lui que jattribue la propagation de doctrines
séditieuses, bien plus quà tout autre individu au
Bengale ou peut-être même dans toute lInde.
Le Juge Beachcroft
mit dans le mille lorsque dans son jugement il fit référence
à Sri Aurobindo ainsi : Un homme qui semble avoir un immense
empire affectif sur ses concitoyens. Le gouvernement avait une peur
bleue de linfluence de Sri Aurobindo et voulait étrangler
son mouvement. En effet, Sri Aurobindo brandissait le
trident de Mahadeva [2]
: une pointe perçait la bureaucratie, lautre les modérés
et la troisième, le nationalisme.
Sri Aurobindo joua un rôle
tenace et héroïque dans la transformation du comportement
politique du parti du Congrès, pour passer dune attitude
modérée, de réconciliation, à une position
extrême et implacable pour lIndépendance. Les leaders
politiques en 1905 étaient portés à utiliser
la pétition, la prière ou la protestation avec les
autorités britanniques.
Par exemple, G.K.
Gokhale, alors Président de la 21ème cession du Congrès
à Bénarès, avait déclaré : Seuls
des fous sortis de lasile psychiatrique peuvent penser à
lIndépendance ou en parler. Constatant
les tentatives timides des modérés pour sassurer
des concessions politiques de la part des Britanniques, Sri Aurobindo
décida de redresser à tout prix lépine dorsale
du mouvement et formula, sous la présidence de Tilak,
le programme en quatre points du Congrès. Il comprenait le Swara [3],
le Swadeshi [4],
le Boycott et lEducation Nationale.
À cette époque
en 1906, sous la direction de Sri Aurobindo, un groupe de jeunes hommes
du Congrès forma un nouveau parti qui décida de travailler
avec un groupe similaire de lÉtat du Maharashtra sous la
direction de Tilak [5],
qui résolut de sattaquer aux modérés. Ce
tournant dans lhistoire du Congrès fut en grande partie
luvre de Sri Aurobindo qui voulait mobiliser la nation dans
la lutte pour la liberté de lInde.
Les mots de Jawaharlal
Nehru sur Sri Aurobindo sont poignants de sens : Sri Aurobindo était
un brillant champion du Nationalisme indien... Il se battit tel un brillant
météore et créa une très forte impression
sur la jeunesse indienne... il sest tenu sur la tribune du Congrès
en courageux avocat de lIndépendance en un temps où
la plupart des leaders parlaient seulement, avec dérision, dauto-gouvernement
colonial. Un mélange de spiritualité et de politique lui
a conféré un halo de mysticisme.
Le célèbre
historien R.C. Majumbar avait fait observer : Il a exposé
la haute philosophie et lesprit national qui animait le parti,
et établit également son programme daction. Dans
son discours présidentiel à la session du Congrès
en 1920 à Calcutta, Lala Lajpat Rai dit de Sri Aurobindo : « Cest
à Calcutta que les idées dun nouveau nationalisme,
qui depuis ont grandi tel un arbre puissant, furent exposées
et expliquées par lun des esprits les plus purs et les
plus intellectuels parmi les fils talentueux du Bengale, je veux dire
Sri Arabinda Gosh. »
Il était maintenant
largement décrété que Tilak et Sri Aurobindo avait
tous deux pour but inaltérable de gagner sa liberté à
lInde. Tilak pensait que Sri Aurobindo et lui-même pouvaient
prendre toute décision selon lopportunité du moment.
Tilak savait qu une action révolutionnaire était
une affaire trop sérieuse pour ne pouvoir être décidée
par personne dautre que ceux qui ont atteint un calme philosophique
de lesprit. Pour ce qui est du calme et de la maîtrise
de soi, Sri Aurobindo avait établi léquanimité
jusque dans la conscience de son corps si bien que rien ne bougeait
quoiquil arrive. Cest à cette qualité que
Tilak faisait référence lorsquil employait le mot
sthitaprajna et que Sri Aurobindo avait acquise.
Sri Aurobindo qui
avait fait toutes ses études au Royaume-Uni était largement
qualifié pour juger de léducation telle quelle
était octroyée à lInde. Sa pauvreté
voulue, son caractère antinational, la loyauté au gouvernement
britannique quelle inculquait, prouvaient que son but était
de fabriquer des employés et des bureaucrates du bas de léchelle.
Sri Aurobindo et Rabindranath Tagore avaient tous deux démontré
au public linadaptation totale des programmes déducation
imposés à lInde par le gouvernement britannique.
Dans une conférence à Patna.... en 1908, Sri Aurobindo
déclara : Le contrôle et la direction de léducation
en Inde par des étrangers est un phénomène des
plus contre nature qui ne se trouve nulle part ailleurs. Sri Aurobindo
mit laccent sur le but fondamental de léducation
en Inde qui était de réaliser laccomplissement du
pays En produisant de vrais fils du pays... qui organiseront secrètement
les villages, la vraie base de lInde à venir.
Sri Aurobindo expliqua
plus avant que : Les écoles nationales éduqueront et
produiront des travailleurs qui se dévoueront totalement au service
du pays et lélèveront à nouveau jusquà
cette ancienne position de gloire qui fut jadis la sienne dans le rang
des Nations. Sri Aurobindo avait aussi fait remarquer : Jai
connu notre propre système déducation bâtard
aussi bien que son original en Occident. Il commenta en disant que
le système déducation en vigueur ne laissait pas
de place aux idées de nationalité, de respect de soi,
et aux attributs supérieurs qui ennoblissent lhomme.
Il est regrettable
que même après cinquante ans dIndépendance,
notre système éducatif continue de faillir aux buts éclairés
de léducation et que le système bâtard
de lépoque britannique persiste dans ses effets.
(Pran Nath Luthra conclut sont article par des extraits
du message de Sri Aurobindo du 15
août 1947, jour de lIndépendance de lInde.)
Notes :
[1] Arabinda ou Aravinda, nom de Sri Aurobindo à
lépoque.
[2] Autre nom de Shiva.
[3] Indépendance.
[4] Indianité.
[5] Tilak (1857-1920), leader Nationaliste du Maharashtra,
Bipin Chandra Pal (1858-1932) grand orateur et journaliste et Lala Lajpat
Rai (1868-1928) leader Nationaliste du Punjab, formèrent le fameux
trio Lal-Bal-Pal de la politique indienne. A la tête de lopposition
à la partition du Bengale en 1905, Sri Aurobindo et Tilak devinrent,
dans les années qui suivirent, les leaders du mouvement nationaliste
indien .
