L'ANNIVERSAIRE DE VASCO DE GAMA
Pannikar n'est pas le seul à douter du mérite du célèbre marin portugais. L'historien français Alain Daniélou rapporte que Gama fut très bien accueilli par le Zamorin, le souverain hindou de Calicut, qui lui permit d'établir des entrepôts et de pratiquer librement le commerce d'épices. « Mais, écrit Daniélou, les Portugais, au lieu de se contenter de ces avantages, cherchèrent bientôt à établir leur hégémonie sur les mers orientales et commencèrent à molester les navires des autre nations. Cela déplut au Zamorin, car la prospérité de Calicut dépendait depuis longtemps des marchands arabes. Les Portugais se lancèrent alors dans des intrigues politiques et s'allièrent au souverain de Cochin, principal rival du Zamorin. » (Histoire de l'Inde p. 299) Cette « découverte » des Indes par Vasco de Gama aura des conséquences désastreuses pour le Kérala et Goa, qui fut le dernier siège de l'empire portugais. Voici ce qu'en pense l'indianiste français Guy Deleury. « En 1510, les Portugais s'emparèrent de Goa, où il instaurèrent un règne de terreur, brûlant les hérétiques, crucifiant les brahmanes et encourageant leurs soldats à prendre des maîtresses indiennes. Or Goa, de son vrai nom indien Gomäntak, était avant la conquête, un centre religieux hindou fort important dominé par de nombreuses communautés de brahmanes qui y possédaient une grande quantité de temples. Tout porte à croire que ces brahmanes n'auraient eu aucune objection à servir un prince chrétien, comme ils s'accommodaient à l'époque des sultans musulmans, mais les Portugais investis par le pape de la mission de convertir les païens sous leur juridiction, exproprièrent les brahmanes et détruisirent leurs temples pour avec leurs pierres construire des églises ». (Modèle Indou, 44). Mais les Portugais ne furent jamais assez nombreux, ni assez forts, pour donner à leurs massacres l'ampleur d'un génocide. D'ailleurs, ils furent rapidement chassés de la côte Malabar par les Hollandais, puis supplantés par les Anglais ; et il ne leur resta plus que Goa, Diu et Daman, de minuscules territoires, plus insignifiants les uns que les autres. Cela ne les empêcha d'être les derniers à quitter l'Inde et à contrecur en plus : il fallut que Nehru envoyât ses chars en 1956. Aujourd'hui, il ne reste pas grand chose de l'héritage de Vasco de Gama, qui mourut le 24 décembre 1524 à Cochin, lors de son deuxième voyage en Inde (son corps fut ramené au Portugal en 1538 et est enterré aujourd'hui sous la cathédrale de Belem), si ce n'est une certaine atmosphère portugaise à Goa (carnaval et frous-frous) et les noms portugais de nombreux de ses habitants. Le gouvernement régional de Goa, avait bien prévu, en collaboration avec le Portugal, de célébrer en grande pompe ce 500ème anniversaire, mais ce fut un tollé général et il dut faire marche arrière. Cinq organisations écologistes, nationalistes et de gauche menées par Claude Alvares, descendant d'un de ces mariages forcés entre soldats portugais et femmes autochtones, doivent d'ailleurs organiser les 27 et 28 mai diverses manifestations à Calicut, dont une marche sur la plage où Vasco de Gama débarqua. « On ne célèbre pas le jour où votre pays a été envahi », a affirmé M. Alvares. « Le débarquement de Vasco de Gama a marqué le début de notre servitude vis-à-vis des colonisateurs européens ». François Gautier
(Écrivain,
journaliste et photographe français, François Gautier,
né à Paris en 1950, fut le correspondant en Inde et en
Asie du Sud du Figaro pendant plusieurs années. Il vit en Inde
depuis plus de trente ans, ce qui lui a permis d'aller au-delà
des clichés et des préjugés qui ont généralement
trait à ce pays, clichés auxquels il a longtemps souscrit
lui-même comme la plupart des correspondants étrangers
en poste en Inde (et malheureusement aussi la majorité des historiens
et des indianistes).
F.G.
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