Toute
l'histoire commence en 1971, lorsque le parti de l'Awami League du Pakistan
oriental remporte le maximum de voix aux élections générales,
le Sheikh Mujibur Rahman aurait normalement dû devenir Premier
ministre de tout le Pakistan. Mais il fut jeté en prison et l'armée
pakistanaise commit un génocide sans précédent
(dirigé principalement contre les hindous) au Pakistan oriental.
Des centaines de milliers de réfugiés affluèrent
en Inde. L'armée indienne intervint alors et écrasa les
Pakistanais, qui se rendirent inconditionnellement avec 95 000 prisonniers.
C'était l'humiliation la plus totale et la partition du Pakistan
en deux le Pakistan oriental devenant le Bangladesh que
les Pakistanais n'oublieront jamais. De cette défaite naîtront
deux obsessions pakistanaises. D'abord, Zulfikar Ali Bhutto, le père
de Benazir, réalise que jamais le Pakistan ne pourra battre le
géant indien dans le cadre d'une guerre conventionnelle, et décide
alors de doter son pays de la bombe atomique. C'est aujourd'hui chose
faite : les services secrets américains estiment que dès
le début des années 90, Islamabad possédait sept
à huit petites bombes atomiques, chacune trois fois plus puissante
que celle d'Hiroshima. Ensuite, il fut décidé de faire
à l'Inde une guerre par procuration. Le Cachemire et le Pendjab,
deux États frontaliers avec le Pakistan, ayant déjà
chacun des problèmes séparatistes, furent sélectionnés.
Cette stratégie a payé : durant les années 80,
le Pendjab fut à feu et à sang ; et le Cachemire a été
aujourd'hui radicalisé et islamisé, sans doute à
jamais.
Malheureusement,
cette politique machiavélique eut aussi ses retours de manivelle
: les nombreux groupuscules islamiques, qui utilisèrent pour
base le Pakistan afin d'attaquer le Cachemire, décidèrent
d'étendre leur djihad au monde entier, particulièrement
contre le « Satan » américain ; c'est ainsi
que de nombreux attentats, dont celui du World Trade Centre en 1993,
avaient une connexion pakistanaise. Mais les États-Unis décidèrent
de fermer les yeux, d'une part parce que le Pakistan avait prêté
son territoire pour la guerre par procuration de Washington contre les
Soviétiques en Afghanistan, mais aussi parce que l'on ne voulait
pas « radicaliser » une nation jugée encore
« modérément » islamique.
Bien
mal leur en prit. Car le nouvel élément des dernières
années furent les madrasas, les écoles religieuses du
Pakistan, d'où sortirent les Talibans. Là encore, l'Inde
s'époumona à répéter que les Pakistanais,
non contents d'être le seul État avec l'Arabie Saoudite,
à reconnaître le Taliban, les entraîne, les arme,
les finance (avec l'argent de la drogue) mais surtout que des
officiers pakistanais les encadrent.
Le
gouvernement pakistanais était-il au courant du complot terroriste
contre les États-Unis ? Pas forcément. Mais il suffit
que quelques-uns des terroristes aient été entraînés
ou aient même transité par le Pakistan, pour que l'oncle
Sam sévisse. Ce jour là, toute l'équation géopolitique
en Asie du Sud changera : L'Inde, de pays suspect, pro-Soviétique
pendant la guerre froide, deviendra l'allié privilégié
avant même la Chine, qui toujours soutenu le Pakistan,
allant même, soupçonnent les services secrets américains,
jusqu'à lui fournir la technologie nucléaire nécessaire
à la bombe « islamique », ainsi que les
missiles M-11 nord-coréens capables de porter des têtes
nucléaires. Et le Pakistan, d'allié privilégié
contre les Soviétiques, deviendra un des États soupçonnés
de fomenter une djihad internationale.
François Gautier
New Delhi
(Écrivain, journaliste et photographe français, François
Gautier, né à Paris en 1950, fut le correspondant en Inde
et en Asie du Sud du Figaro pendant plusieurs années. Il vit
en Inde depuis plus de trente ans, ce qui lui a permis d'aller au-delà
des clichés et des préjugés qui ont généralement
trait à ce pays, clichés auxquels il a longtemps souscrit
lui-même comme la plupart des correspondants étrangers
en poste en Inde (et malheureusement aussi la majorité des historiens
et des indianistes).
François Gautier a été invité à présenter
Un Autre Regard
sur l'Inde à l'émission Bouillon de Culture
en juin 2000.)
