MÉDITATIONS DE PRINTEMPS
Idée décourageante toutefois, car l'appareil judiciaire indien est en faillite. Neuf ans après les attentats à la bombe de Bombay, les responsables courent toujours. L'affaire du Bihar (détournement de fonds destinés à l'achat de fourrage pour le bétail) est encore en cours d'audition. En plus de 10 ans, la Cour Suprême n'a guère progressé dans le procès d'Ayodhya. On comprend la sagesse de la Cour Suprême des États-Unis qui a tranché rapidement dans l'affaire du décompte des bulletins Gore-Busch en Floride en l'an 2000. Même si l'on n'est pas d'accord avec cet arrêt de justice, la promptitude de la décision a permis à la nation d'aller de l'avant. Pour certains, ce sont les médias et l'élite politique qui, par leur incapacité à trouver des solutions aux causes sous-jacentes de mécontentement, entretiennent la violence, plus encore que les combattants des rues. Dans le cas du massacre de Godhra, les médias, en faisant porter le blâme aux victimes, ont peut-être participé au déclenchement de la rage meurtrière. Il y a quelques années, Andrew Young m'a raconté comment Martin Luther King et lui obtinrent la percée cruciale du Mouvement des Droits Civiques américains en s'inspirant de l'idée du Mahatma Gandhi, selon laquelle il faut être deux pour que l'oppression puisse s'installer. C'est parce qu'on le laisse faire que l'oppresseur impose son joug à l'opprimé. Dans cet esprit, il nous faut porter le regard au-delà des événements récents, afin de voir si les terroristes et les criminels sont les seuls responsables de la situation présente. Même si l'élite de Delhi semble peu impliquée, c'est en partie pour son édification que se joue ce théâtre de la violence. Le processus politique est tellement fracturé que ceux qui tirent les ficelles en viennent à justifier la violence comme moyen d'action. De plus en plus, l'Inde devient un état-théâtre, dont les acteurs sont plus attachés au spectacle en lui-même qu'à un véritable changement.
L'autre jour, je discutais avec un éminent spécialiste de l'Inde aux États-Unis. Selon lui, les conflits religieux continueront en Inde même si le différend d'Ayodhya finit par être résolu jusqu'au moment où le gouvernement indien saura s'extirper de la sphère des religions. Voici, d'après lui, ce qu'il convient de faire :
Imaginez, disait le professeur, que le gouvernement américain subventionne les écoles des temples hindous aux USA, tout en refusant son aide à celles des églises. Cela n'entraînerait-il pas un bain de sang ? Je suis stupéfait que les journaux n'aient pas jugé utile de débattre de ces questions. Les journaux indiens censurent les idées, mais rappelons-nous les paroles de Klemens von Metternich : « Il est inutile de faire obstacle aux idées, car elles sautent par-dessus les barrières ». Les gens en Inde éprouvent le sentiment frustrant de n'avoir pas réussi à faire évoluer les pouvoirs établis vers la création d'un état authentiquement laïque. Les nostalgiques de Macaulay [3] insistent pour qu'il n'y ait pas de changement, tant ils sont épris de leurs traditions. La gauche voudrait un gouvernement encore plus centralisé qu'il ne l'est. Les médias n'ont
malheureusement pas été neutres dans leur exposé
des problèmes et de leurs éventuelles solutions. Ils se
posent en juges pour s'arroger le droit d'écarter un certain
type d'informations et de sujets. Les journalistes peuvent avoir des
points de vue personnels, mais cela ne devrait pas influer sur leur
façon de rapporter les faits. En Inde, les journalistes se prennent
pour des écrivains. Mais comme l'affirmait D-H. Laurence : « Ne
vous fiez jamais à l'auteur, fiez-vous au texte. La fonction
propre d'un critique est de sauver le texte de l'écrivain qui
l'a créé. » Lors de mes fréquents voyages à l'intérieur des États-Unis, je m'entends dire que pour pousser l'Inde à faire des réformes, il faudrait faire pression sur son gouvernement par l'intermédiaire des sénateurs et des membres du Congrès américain. Il n'est pas impossible que Delhi prenne acte de leurs remarques s'ils accusent l'Inde de ne pas traiter toutes les communautés religieuses sur une base d'égalité. C'est un peu ce qui s'est produit il y a quelques années, lorsqu'une résolution a été présentée au Congrès américain, demandant au gouvernement indien de faire quelque chose pour les Cachemiris en train de croupir dans les camps de Jammu, dans d'épouvantables conditions. Et de fait, Delhi a réagi. Mon ami américain est persuadé que beaucoup de problèmes en Inde sont le fruit des vues à court terme des auteurs de la Constitution indienne. Considérez par contraste les pères fondateurs des États-Unis, qui ont clairement exprimé le principe de la séparation de l'Église et de l'État. La politique indienne est encore si intoxiquée par les brumes du socialisme qu'elle est incapable d'adopter ce principe de base.
(Traduit de l'anglais)
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