
LE
NAGALAND, CIBLE
D'IMMIGRATION
POUR LE BENGLADESH
Amarjeet
Singh
Article
paru dans
La Revue de l'Inde N°5
octobre / décembre 2006
Le
flot continu dimmigration dans le Nagaland en provenance du Bengladesh
est en train de devenir un problème majeur pour cet État,
et son ampleur menace de perturber gravement les populations et la paix
dans la région du Nord-est. Les perspectives damélioration
économique et une pénurie de main-duvre, combinées
à une absence critique de mécanismes de régulation
migratoire, interdisent toute maîtrise du phénomène.
En dépit de ces conséquences sérieuses en termes
démographiques, économiques, sécuritaires et politiques
pour un petit État comme le Nagaland, ce sujet continue dêtre
absents des discours sur la sécurité du pays.
Le Nagaland ne possède
pas de frontière commune avec le Bengladesh, mais les immigrants
clandestins sinfiltrent dans lÉtat depuis lAssam,
avec lequel il possède quelques 500 kilomètres de frontière.
La région de Dimapur et ses contreforts sont devenus les premières
cibles de migration, laquelle sécoule ensuite progressivement
vers lintérieur. La nature cosmopolite de la région
de Dimapur rend difficile la détection des immigrants illégaux.
Pire, ces derniers se trouvent en possession de documents légaux
tels que cartes de rationnement et délecteurs, que lon
peut se procurer en Assam ou au Bengladesh pour une somme modique.
Le fait que Dimapur
et ses environs ne soient pas couverts par le système du « Inner
Line Permit (ILPT ) », qui interdit à tout non Nâga
(y compris indiens) de sétablir dans cette zone, est visiblement
exploité par les immigrants avant quils ne sécoulent
vers dautres régions de lÉtat.
Une fois arrivés
au Nagaland, les immigrants clandestins trouvent aisément un
emplois parmi les nombreux disponibles et deviennent travailleurs agricoles,
aides domestiques, conducteurs de rikshaw, travailleurs du bâtiment
ou vendeurs dans des échoppes. De plus, certains Nagalis les
accueillent en leur procurant une terre à cultiver et un logement
temporaire. Les Bangladeshis, main-doeuvre bon marché,
sont préférés à la main doeuvre locale
relativement plus chère.
Il nest pas facile
darriver à une estimation précise du nombre dimmigrés
au Nagaland. Celle-ci varie de 75 à 300.000 personnes. Mais même
en labsence de chiffres précis, ces estimations sous-évaluent
lampleur de la crise dans cet État minuscule, dont la population
totale ne dépasse pas deux millions dhabitants. Plus surprenant,
la région de Dimapur à elle seule semble posséder
plus de cent mille immigrés illégaux ; ils nétaient
que soixante mille en Février 1999, selon le Premier Ministre
(Chief Minister) du Nagaland à lépoque, S.C. Jamir.
Lafflux continuel
dimmigrants illégaux a créé une menace sérieuse
de déstabilisation dans lÉtat, les immigrants semparant
peu à peu de la base économique des Nâgas. Sur certaines
places commerciales majeures comme Dimapur, ils ont acquis une influence
toujours grandissante dans le commerce : les immigrants musulmans détiennent
aujourdhui la moitié des boutiques à Dimapur, le
plus grand centre commercial de lÉtat. En 2003, un journal
local notait succinctement : « On ne peut nier le fait que
les jours de fête religieuse musulmane, au moins la moitié
des commerces de Kohima et quelques 75% de ceux de Dimapur sont fermés.
Cela souligne limpact des immigrants sur le secteur commercial. »
Une enquête du
ministère de lagriculture de lÉtat du Nagaland,
réalisée en 2003, révèle quenviron
71,7% du total des entreprises privées de lÉtat
étaient contrôlées et gérées par des
« non locaux », immigrants légaux et illégaux.
Selon ce rapport, sur les 23.700 commerces existants, seuls 6.722 (28.3%)
sont détenus par la population locale. Bien que lenquête
nait pas cherché à distinguer entre immigrés
légaux et illégaux parmi les gérants de commerce,
de nombreuses indications convergent pour suggérer une présence
importante de ces derniers. Les immigrés illégaux se portent
aussi acquéreurs de terre et dautres biens immobiliers,
de connivence avec leurs sympathisants locaux.
Limpact de limmigration
clandestine en provenance du Bangladesh est aussi visible sur le profil
démographique déséquilibré de lÉtat.
Peuplé de 1.988.636 habitants recensés en 2001, le Nagaland
bat tous les records de croissance démographiques en Inde, avec
un taux de +56% entre 1981 et 1991, et de +64,4% entre 1991 et 2001
! Il est significatif que ces taux de progression se retrouvent dans
tout lÉtat. Plusieurs régions des districts de Dimapur
et Wokha, qui bordent lAssam, ont enregistré des hausses
démographiques record : +95% pour le district de Golaghat en
Assam, le score le plus élevé dans tout le pays. À
lévidence, lafflux silencieux et sans contrôle
dimmigrants clandestins dans le district a joué un rôle
crucial dans cette croissance démographique anormale.
Les migrants épousent
des femmes locales afin de sassurer une base légale pour
leur séjour dans lÉtat. En conséquence, une
nouvelle communauté appelée « Sumia »
a émergé en certaines régions. Ces derniers sont
estimés à plusieurs milliers et se concentrent principalement
dans les districts de Dimapur et Kohima. La population locale craint
de plus en plus que la liste des électeurs soit maintenant établie
pour accommoder les Sumias ainsi que les autres immigrants. Ces appréhensions
se sont trouvées renforcées par le fait que, selon le
recensement de 2001, la population musulmane de lÉtat a
plus que triplé durant la dernière décennie, passant
de 20.641 en 1991 à 75.000 en 2001. Cette augmentation est attribuée
pour la plus grande part aux immigrés clandestins.
Inquiète de
tels développements, La Fédération des Étudiants
Nâgas (NSF) a cherché à imposer des restrictions
au mariage de jeunes filles nâga avec des immigrés clandestins.
Le 10 août 2003, un de ses dirigeants déclara que le NSF
avait déjà banni les jeunes femmes nâga ayant épousé
des immigrés clandestins du Bengladesh, tout en regrettant que
linterdiction nait pu être strictement appliquée.
Parfois, lorganisation a même prétendu avoir déporté
des clandestins hors de lÉtat. Malheureusement, ces derniers
se sont réintroduits après un bref séjour en Assam.
Le Gouvernement de lÉtat a aussi revendiqué la déportation
denviron 20.000 infiltrés entre 1994 et 1997, mais il est
avéré que la plupart dentre eux sont revenus peu
de temps après. De toutes façons, de telles mesures sont
sans portée si elles consistent seulement à transférer
des clandestins dun État indien à un autre.
La présence
dun grand nombre détrangers a aussi créé
une situation de plus grande vulnérabilité à légard
des visées des services secrets du Pakistan et du Bengladesh.
Cette menace sest trouvée renforcée par lémergence
de plusieurs groupes islamistes extrémistes dans la région
qui fournissent une masse de manuvre aux services spéciaux
du Pakistan (ISI) et du Bengladesh (DGFI).
Les gouvernements qui
se sont succédés, que ce soit à New Delhi ou dans
les États du Nord-est, nont pas réussi à
prendre des mesures susceptibles de stopper le flot dimmigrants
illégaux dans le pays et particulièrement au Nagaland.
Cette négligence, qui se traduit par un coût de plus en
plus élevé à mesure que le temps passe, tant sur
les plans social, économique que sur celui de la sécurité,
menace de conduire le Nagaland vers une crise interne de grande ampleur
dans un avenir proche.
Amarjeet
Singh
© La
Revue de l'Inde
(Amarjeet
Singh, journaliste indien de renom, spécialiste du nord-est de
lInde, collaborant entre autres au magazine Outlook.)
