« En Inde, la culture
est bien vivante et est principalement tournée vers lintérieur »
François Gautier : Je vis en
Inde depuis trente-cinq ans. Je suis arrivé en 1969 par la route
et me suis établi à Auroville, près de Pondichéry,
après avoir rencontré la Mère. Javais fait
un peu de journalisme et de photographie avant de partir, et au bout
de dix ans à lashram de Pondichéry, où je
fus jardinier et méditant, jai commencé à
faire du freelance dans le sud de lInde, texte et photos, avant
de devenir correspondant du « Journal de Genève »
en Asie du Sud, puis du « Figaro ». Il y a quatre
ans, ma vie a changé complètement de direction : jai
arrêté le journalisme de reportage, qui est quelque peu
stérile et répétitif et me suis mis à écrire
des livres et à faire des conférences sur lInde.
Jenseigne également dans une école de journalisme
à Bangalore et suis professeur de pranayama au sein du mouvement
lArt de Vivre. FG :
Le gros problème de lInde, cest son image à
létranger, particulièrement en Occident, une image
de pauvreté, de corruption, dinefficacité. Il y
a plusieurs raisons à cela. La première, je crois, cest
un certain sentiment de supériorité néo-colonial
qui nous reste : « la bombe, nous les Occidentaux savons la gérer,
mais pas vous, peuple sous-développé », par exemple.
Le deuxième facteur, cest bien sûr limage polythéiste
de lInde, qui lui fait grand tort, alors quen fait les Indiens
voient lUnité totale dans la diversité la plus complète
; le troisième cest la mauvaise image que les missionnaires
anglicans et les marxistes propagent de lInde, une image dintouchabilité,
de pauvreté, de corruption et de sous-développement ;
et la dernière, ce sont les images folkloriques qui subsistent
dans limaginaire des Français et des Occidentaux : les
fakirs, les maharajas, les palaces, les charmeurs de serpents, etc.
FG
: Culturelles : souvent dans un pays, la culture est quelque chose
de passé que lon fait revivre pour se remémorer
son histoire ou pour les yeux des touristes. En Inde, la culture est
bien vivante et est principalement tournée vers lintérieur
pour les Indiens, par les Indiens même si les touristes
en profitent, comme à Puskhkar, par exemple, la foire aux chameaux.
FG
: LInde a toujours assimilé toutes les influences
étrangères, cest là sa grandeur. Les Indiens
ont également toujours toléré la différence,
cest ainsi que toutes les minorités religieuses persécutées
chez elles, les Juifs, les Parsis, les Chrétiens de Syrie, les
Arméniens, les Tibétains aujourdhui, ont trouvé
refuge en Inde. Malheureusement elle n' a pas été payée
en retour et les marchands arabes, qui sétaient établis
en Inde avant les premières invasion arabes du 7ème siècle
et purent pratiquer leur religion en paix, se tournèrent contre
les hindous dès les premiers pillages ; de même les Chrétiens
du Kérala, qui aujourdhui propagent un christianisme agressif.
Je pense, aussi, comme Alain Daniélou ou Will Durant,
que le invasions musulmanes ont constitué le plus grand holocauste
de lhistoire de lhumanité, contre les hindous, dont
lhistoire na jamais vraiment été écrite.
FG
: Lorsque je suis arrivé en Inde en 1969, je me suis immédiatement
senti « à la maison ». Pourtant lInde nest
pas un pays facile pour un Occidental, car tout ici contredit notre
culture et nos sens esthétiques, moraux et religieux sont quelquefois
assaillis. Mais lInde ma beaucoup donné : spirituellement
dabord et surtout lenseignement de Sri Aurobindo, la puissance
de la Mère, aujourdhui le pranayama et la méditation
tels quils sont enseignés par Sri Sri Ravi Shankar ; professionnellement
ensuite : on ne peut pas trouver un pays plus fascinant, plus riche
et divers en sujets pour un journaliste étranger (malheureusement
la plupart dentre nous ne soulignons que le côté
négatif et sensationnel de lInde), en plus il y très
peu de journalistes français en poste, aussi la concurrence est
mince ; sentimentalement, enfin,
je suis marié à une Indienne qui a comblé ma vie.
FG: Être
un Occidental en Inde, cest un peu jongler avec deux cultures
: on ne peut pas se fondre totalement en Inde et devenir un Indien,
ceux qui ont essayé se sont perdus ou sont devenus fous ; on
ne peut pas non plus rester totalement Français car automatiquement
lInde vous éjecte nombreux sont les expatriés
ou les correspondants étrangers, qui après trois ou cinq
ans haïssent lInde ; je midentifie donc à lInde,
particulièrement à sa spiritualité et la qualité
humaine des Indiens, mais je garde une petite part dOccidental,
dans la nourriture, la manière dont je mhabille, un peu
de musique classique occidentale que jaime et cinq semaines en
France par an
FG : Tawang
; la frontière entre lInde et le Tibet. Cest un mini
Tibet en Inde et comme il faut un permis pour y accéder, cest
un des rares endroits en Inde qui soit écologiquement protégé,
où les arbres tombent sans que personne ne les ramasse, où
les bananes poussent sauvages et où on ne rencontre personne
pendant des centaines de kilomètres. Le no mans land qui
sépare les quatre derniers kilomètres avant le Tibet est
fantômatique, car cest par là que les Chinois descendirent
sur lInde en 1962 et il reste des tensions assez fortes entre
lInde et la Chine. FG : La
Mère de Pondichery, sa rencontre a fait basculer ma vie ; le
Dalaï-lama, que jai interviewé sept fois : je ne mattendais
à rien la première fois, mais j'avais au bout de dix minutes,
sans comprendre pourquoi, lenvie de pleurer. Cest un homme
extrêmement bon, qui a travaillé toute sa vie sur lui-même.
Les gens simples de lInde, leur hospitalité, leur gentillesse,
leur acceptation de lAutre. FG
: Encore une fois, lInde a toujours su assimiler les influences
extérieures. Il est vrai quaujourdhui elle fait face
à la globalisation. Mais si vous observez attentivement, vous
constaterez que MTV, par exemple, que ses producteurs américains
avaient essayé dimposer à lInde telle quelle
est vue aux États-Unis, ou en Colombie, na pas marché.
Aujourdhui donc MTV a été indianisée ; cest
un mélange de rap punjabi, de pop hindi et de musique de films
hindis. Même chose pour Mac Donald : ils ont été
obligés dintroduire des plats végétariens
et de mettre du chili dans leurs burgers. Cela ne veut pas dire que
lInde na pas succombé : dans les grandes villes,
les jeunes Indiens ont souvent perdu leurs racines et veulent singer
lOccident. Alors seul lavenir dira si lInde assimilera
cette influence-là heureusement, 80% de lInde est
encore rurale. Je le crois. FG
: Liez-vous à lInde, investissez une partie
de vos gains en Inde, envisagez de revenir à temps partiel ou
complet en Inde. Lavenir est en Inde. Il faut que les Indiens
expatriés de par le monde, qui ont réussi, fassent comme
leurs frères chinois : aider ce grand pays, si mal compris, à
atteindre sa destinée.
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