Quand le Tibet était libre, nous
tenions notre liberté pour acquise. Nous ne pensions guère
qu'il nous faudrait l'éprouver, et même, un jour, la défendre
; nous n'avions tout simplement pas conscience qu'elle était
menacée. Nous nous voyions comme « les gens aux visages
rouges et cheveux noirs du Pays des neiges » et notre isolement
physique nous berçait dans une complaisance qui nous laissa démunis
face aux changements à venir.
La longue histoire du Tibet a été
marquée par une interaction étroite et fructueuse avec
nos différents voisins. Autrefois, les Tibétains étaient
une nation guerrière dont l'influence s'étendait loin
à la ronde. L'avènement du bouddhisme fit décliner
nos prouesses militaires, mais en dernier ressort, ce changement d'attitude
engendra de nouvelles et riches relations culturelles et religieuses
avec l'Inde, la Chine et la Mongolie.
Malheureusement, de grands changements
étaient en cours autour de nous. Tandis que l'Inde, au sud, accédait
à l'indépendance, et que la Chine, à l'est, était
en proie à la guerre civile et à la révolution,
nous n'avons pas su développer de véritable conscience
politique, et le Tibet demeurait pareil à lui-même. À
nos dépens, nous sous-estimions l'impact de ces mutations. Néanmoins,
je pense que depuis lors, nos puissants voisins ont enfin réalisé
combien le bouleversement qui a eu lieu au Tibet les a eux-mêmes
affectés. En tant qu'État neutre au cur de l'Asie,
le Tibet a traditionnellement joué le rôle de tampon entre
l'Inde et la Chine, tous deux désormais puissances nucléaires.
Un État-tampon qui n'existe plus maintenant. En tant que « toit
du monde » et source de plusieurs grandes rivières,
le plateau tibétain influence aussi grandement le climat régional,
si bien que des changements environnementaux là-haut induisent
des effets de grande ampleur en Asie orientale et méridionale.
Enfin, dépositaire d'une culture et d'une tradition bouddhistes
vivantes, le Tibet a beaucoup à offrir dans la quête de
la sérénité intérieure ainsi que pour encourager
la non-violence et la paix dans le monde.
Dans ce livre, Claude Arpi, un vieil ami
du Tibet et des Tibétains, se penche sur nombre de ces sujets.
Des temps anciens jusqu'à aujourd'hui, il montre comment les
intérêts du Tibet ont toujours été interdépendants
de ceux de ses voisins. En conséquence, la seule solution de
l'impasse actuelle au Tibet passe forcément par un dialogue admettant
cette réalité. J'ai proposé d'établir au
Tibet une zone de paix qui tiendrait compte aussi bien des besoins de
nos voisins que des nôtres. Cependant, pareille solution ne peut
se réaliser que si toutes les parties intéressées
sont prêtes à discuter. Jusqu'à maintenant, la partie
chinoise a résolument évité le dialogue.
Claude Arpi a passé de nombreuses
années en Inde et a acquis une ample compréhension du
dossier tibétain. Alors qu'il exprime, ici, son admiration pour
l'adaptabilité et le bon naturel des Tibétains qui l'ont
inspiré dans son travail, je voudrais dire la mienne pour son
attitude réaliste et pratique. Cette approche se reflète
dans son livre. C'est quelqu'un qui évalue ce qui doit ou peut
être fait et ne rechigne pas à retrousser ses manches et
à se mettre au travail. J'espère que les lecteurs apprécieront
ce nouvel éclairage, beaucoup plus net, sur le cas du Tibet,
et qu'il les inspirera à soutenir notre cause.