Mahâlakshmî (bronze Chola, au musée
de Thanjavur)
Aussi loin en arrière que lon
regarde, le festival est là en Inde. Le Satra était
le festival national des temps védiques pour le progrès
de la littérature et de léducation. Les foules enchantées
arrivaient de partout comme une mer immense. Rishis, érudits,
philosophes sy retrouvaient et lair était empli de
leurs litanies et des saisissantes récitations de mantras védiques,
de leurs discours sur Brahman. Ce festival était organisé
par une famille, comme une cérémonie pour le bien spirituel
de la communauté ; la nourriture était offerte en abondance
à tous, pendant le festival et toute lannée durant.
Cinq mille ans plus
tard, les cérémonies védiques chantent toujours
leurs mantras divins en particulier dans les états
du Sud de lInde et les festivals témoignent
dune continuité culturelle qui na cessé denchanter
petits et grands.
Divâlî,
ou Dîpâvalî, « rangée de lampes
à huile », est lun deux, célébré
à la nouvelle lune du mois de Kârtîk pendant deux
à trois jours selon les régions : cette année,
du 8 au 9 novembre.
Les maisons sont briquées,
passées à la chaux ou repeintes. Ces jours-là,
pas dombre, tout est propre pour célébrer la victoire
de la Lumière sur lobscurité, et pour accueillir
chez soi une invitée de marque : Lakshmî ! la déesse
de lharmonie.
Divâlî
célèbre la victoire de Krishna sur le démon-roi
Narakâsura, également nommé fils de la Terre. Narakâsura
avait obtenu, par sa discipline yoguique, tant de faveurs quil
était devenu tout-puissant. Et le fléau de la race humaine.
Il pillait et ravageait, non seulement la terre mais le ciel ! Il enleva
les quelque seize mille filles des dieux, gardées prisonnières
dans sa retraite de montagne. Enfin il déroba à Aditi,
la mère des dieux, ses boucles doreilles cétait
plus que les dieux nen pouvaient supporter.
Ils sen allèrent
supplier Sri Krishna, lui seul étant à la hauteur de la
tâche. Krishna consentit. Un long et terrible combat sensuivit
et Krishna réussit à délivrer hommes et dieux de
la terreur du démon.
Laffrontement
ayant duré tout le jour, Krishna ne put faire ses ablutions quaprès
le coucher du soleil. En commémoration de cet événement,
avant laube du lendemain, les hindous célèbrent
la victoire de la lumière sur lobscurité. Ils soignent
dhuile de sésame et prennent un bain, « Ganga
snanam », dont leau est aussi sacrée que
celle du Gange, nettoyant ainsi en eux-mêmes la mémoire
du démon. Toute leau de lInde, à ce moment
précis de Divâlî juste avant laube, est sacrée.
Cest donc le moment propice pour offrir ses oblations deau
à lesprit des ancêtres. Non seulement de leau
pure, mais de la nourriture sera offerte. Et comment transmet-on de
la nourriture aux ancêtres ? Les corbeaux sont les messagers
dun côté à lautre et accueillent volontiers
lhonneur ! Au Tamil Nadu, Divâlî consiste essentiellement
en ce moment de purification et de victoire. La veille, chacun aura
reçu de nouveaux vêtements. Tout comme la nourriture est
offerte au Divin avant de la porter à la bouche, les vêtements
seront offerts avant de les porter. Dès après le bain,
la femme de la maison allume une lampe à huile, une « dîpa »,
elle évoque Vishnu en tant que Lakshmi-Narayan, le Seigneur de
Lakshmi, place les vêtements devant limage ainsi que les
préparations de nourriture, après quoi chacun shabille
et fait exploser quelques pétards de victoire ! Une tradition
bien appréciée veut que les jeunes couples soient invités
à la maison parentale de la mariée pour passer leur très
heureux « premier Divâlî ».
Au Maharashtra, les
femmes célèbrent la victoire du divin Krishna, en faisant
une puja avec loffrande dune flamme, un peu dencens
et quelques fleurs, sur un plateau quelles promènent tout
autour de chacun de leurs frères.
Les lumières,
les feux dartifice et les pétards célèbrent
plusieurs autres victoires au nord de lInde. Ainsi celle de Râma,
le héros de la loi juste, lincarnation du devoir et de
la rectitude du dharma qui revenait à
Ayodhya accompagné de sa femme Sîtâ après
avoir vaincu le roi-démon Râvana de Sri Lanka.
Les traditions diffèrent
dun état à lautre. Après ce bain qui
a lieu sur toute lInde (excepté au Kérala), dès
laube, les Indiens du nord disposent en rangées les petites
lampes à huile en terre cuite, les « dîpas »,
aux portes, aux balcons et fenêtres, tout est illuminé
pour saluer le retour du souverain victorieux au royaume. Et pour accueillir
Lakshmî : dans toute la maison, aux temples et places publiques,
aussi bien que certains lacs ou rivières, pendant ces deux nuits,
pas de recoin dans lobscurité, partout les dîpas
scintillent et les lumières dansent au gré des petites
flammes. On ouvre toute grande la porte dentrée à
Lakshmî, et la porte arrière pour que sorte son « contraire »,
Alakshmî, la déesse de la Misère. On aime à
voir le visage de Lakshmî, et le dos dAlakshmî !
Peu à peu les
pétards ont prédominé sur les petites lampes, mais
il fut un temps où ce festival était une splendeur, un
reflet de la réalité intérieure bouleversante de
ce pays.
En Andhra Pradesh,
les jeunes filles préparent une balançoire, sur laquelle
elles vont et viennent pour avoir un bon compagnon de vie, équilibré,
intelligent, et une vie harmonieuse. Au Bengale, on honore tout dabord
Alakshmî
pour tenir à lécart le malheur.
Puis, après sêtre purifié, on fait la pûjâ
à Lakshmî une cérémonie où
lon vénère la divinité avec des offrandes
de fleurs, de fruits ou dargent invitant prospérité
et richesse dans la maison. À partir de minuit et toute la nuit,
cest Mahâkâlî, la mère terrible de la
force et de lénergie que lon révère.
Le troisième
jour est celui du roi Bâli, célébré en particulier
au Kérala. Bâli était le puissant chef des Asuras,
néanmoins un être de grand mérite et dévot
du seigneur Vishnu, mais qui commençait à usurper le royaume
de lInde. Répondant à lappel dIndra,
Vishnu prit la forme dun nain brâhmane. Le nain approcha
Bâli. Il lui demanda trois pieds de terre de son vaste empire.
On ne refuse rien à un authentique brâhmane. Lorsque ceci
fut accordé, le nain soudain grandit. Il grandit immensément.
Et encore davantage. Cest alors quil posa un pied sur la
terre. Cétait son premier pas. Il posa un autre pied sur
les cieux. Cétait son second pas. Et où
pouvait-il poser le troisième pas ? Sinon sur la tête
de Bâli lui-même, lenvoyant culbuter dans les mondes
souterrains. Non sans compassion tout de même, avec quelques bénédictions
et faveurs [1], et
lon dit quen lui retirant ses pouvoirs et son royaume où
sétait cristallisé lorgueil, le Seigneur avait
libéré Bâli qui pourrait désormais se consacrer
purement et intégralement à sa dévotion.
Divâlî,
cest un renouveau dans les odeurs dhuile et de camphre,
sur un fond sonore constant de pétards et de musiques. LInde
sest offerte de nouveaux vêtements, de nouvelles vaisselles,
on séchange sucreries et cadeaux ce sont des
jours de joie, qui célèbrent léternelle victoire
du dharma, au milieu même de lobscurité la plus intense.
Nicole Elfi
©
Nicole Elfi
Deepam